Colorado Train, disparition dans l’enfer des paumés.

                                                            


Par Robert Laplante

Que c’est inquiétant les forêts. Surtout quand elles sont sombres, touffues, pleines de grottes, de précipices, de ravins, de montagnes, de lignes de chemins de fer et de cabanes abandonnées. où crèchent des vagabonds et quelques créatures inquiétantes que d’aucuns pourraient assimiler au Wendigo, au Diable du New Jersey ou à des démons sylvestres. Elles sont aussi de fabuleux théâtres pour ces légendes, films, romans et bédés qui nous donnent la chair de poule.

Prenez par exemple Colorado Train. Elle raconte l’histoire de Donnie qui habite tout près d’une de ces forêts. Un adolescent mal dans sa peau, souffre-douleur de Moe et des copains, des petites frappes qui font la loi dans un minuscule bled paumé du Colorado. En voulant fuir Moe et ses tortionnaires, il rencontre Durham, un adolescent comme lui exclu et marginal. Mais à la différence de Donnie, il a ses entrées dans la communauté des hobos. Ces clochards qui «jump» les trains, histoire de voir si l’herbe est plus verte chez le voisin.

                                                    


Entre les deux adolescents naît une amitié aussi solide que soudaine. Tellement solide, que Donnie lui présente ses deux fidèles amis : Michael et Suzy. Rapidement ils deviennent inséparables, parcourent le côté obscur de la forêt et tentent d’échapper à Moe : l’intimidateur.

Jusqu’au jour où ce dernier disparaît. Une fugue? Un enlèvement? On ne sait pas, mais la disparition est louche. Assez en tout cas, pour leur donner le goût d’aller fouiner près de son domicile. Après avoir découvert une empreinte suspecte, ils décident d’entreprendre une enquête pour découvrir ce qui est arrivé à leur tortionnaire. Une quête qui les mènera dans la forêt où les attendent des révélations, qu’ils auraient préféré ne pas connaître.

                                              


Adaptation du roman éponyme de Thibault Vermot, Colorado Train est une bande dessinée aux parfums du Stephen King. Celui de Ça et de L’Outsider, le Stephen King, maître du climat anxiogène. Une réussite qui en doit beaucoup au travail d’adaptation et au graphisme d’Alex W. Inkler.

                                                          


Avec son trait cru, sauvage et violent, il illustre à merveille l’univers médiocre, où l’espoir semble s’être fait la malle, imaginé par Vermot. Un petit monde gris, aux allures de la tristement célèbre ville de Derry, là où sévissait le terrifiant Pennywise. .

Par sa judicieuse utilisation du noir et blanc et son trait rugueux, rude, sans fioriture, qui frappe comme un coup de skate derrière la tête, le bédéiste transforme cette petite ville perdue en un véritablement no man’s land désespéré. Là, où se retrouvent tous les laissés pour compte de l’Amérique, ados et adultes.

                                            


Pourtant loin de vouloir fuir cette bourgade sans avenir, on s’y sent attiré comme si elle nous avait séduites. Du moins, pour que l’on décide de s’y attarder et de regarder derrière ses portes closes. Là, où les langues les plus muettes se délient et les secrets les plus inavouables se frayent un chemin jusqu’à l’air libre.

Adroitement, Alex W Inker tisse une toile fascinante. Elle finit par nous emprisonner dans cette infernale quête vers une vérité qui nous échappe et qui dérange. Avec ses courts chapitres illustrés de chansons, qui ajoutent un tempo démentiel et de l’authenticité à un scénario qui l’est déjà beaucoup, le bédéiste propose un thriller horrifique aussi angoissant que séduisant.

                                                 


Je n’ai pas lu le roman, je ne le connaissais même pas, mais il est évident qu’à la lumière de cette adaptation dessinée, je dois me le procurer. Ça faisait longtemps que je n’avais pas lu une bande dessinée horrifique, de cette puissance. Le genre d’histoire qui une fois terminée nous hante pendant plusieurs jours.

Alors, que je m’attendais à une histoire traditionnelle de vagabonds, de marginaux et de perdants magnifiques comme le cinéma, le théâtre, la chanson et la littérature américaine en ont tant fait depuis l’époque du nouvel Hollywood, j’ai découvert une bande dessinée d’horreur, terriblement efficace, où de chaque page s’échappe le souffle infernal de du non-dit.

Une belle réussite aussi surprenante qu’inattendue.

Alex W Inkler d’après le roman de Thibault Vermot Colorado Train, Sarbacane

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