En lutte : la révolution tranquille

                                                            

Par Robert Laplante

Je l’avoue, ce n’est pas une nouveauté. C’est de ma faute, je n’ai aucune excuse. J’aurais dû vous en parler bien avant, mais je l’avais presque oublié tant elle était loin dans ma pile de bandes dessinées à lire. Je m’en veux, parce que c’est une bédé passionnante. Alors cette semaine : En lutte de Fabien Toulmé, un récit qui mérite le détour.

D’emblée il faut dire qu’elle a tout pour me plaire, puisque c’est une bande dessinée-reportage. Un bijou qui raconte le quotidien de ces militants qui tentent de faire changer à petits pas une planète qui en a bien besoin, avec d’enthousiasme et d’optimisme envers l’être humain. Dans ces temps sombres, où règnent le sarcasme et le cynisme, un petit rayon d’espoir fait toujours du bien.

                                         

Cette BD aborde des sujets très difficiles. Elle décrit des luttes inégales presque ruinées, où des David subversifs doivent affronter des Goliath tellement puissants qu’ils auraient même fait peur au géant, champion des Philistins.

Des combats inégaux, certes, peut-être même joués d’avance, mais qui ne les font pas reculer. Inspirants résilients et surtout incapables de plier l’échine, les sympathisants rencontrés par Toulmé luttent contre vents et marées pour vaincre les injustices et changer tranquillement, et avec bienveillance, les mentalités, un individu à la fois, en savourant à l’occasion de fragiles petites victoires.

À partir de la révolution populaire libanaise des dernières années, la lutte d’une favela brésilienne contre un projet immobilier et l’engagement d’une activiste féministe béninoise, le bédéiste dresse le portrait de ces militants qui résistent toujours au pouvoir oppresseur. Celui qui sacrifie Monsieur et Madame Tout-le-Monde sur l’autel des ambitions des grands de ce monde et des amis du régime qui ne veulent pas perdre leurs privilèges.

                                         

Comme un journaliste/anthropologue, Toulmé, un des bédéistes les plus intéressants des dernières décennies, leur donne la parole pour qu’ils témoignent sans fard de leur combat quotidien. Son crayon et ses carnets deviennent ainsi la caméra qui capte l’essence de leur résistance.

Non seulement il les laisse s’exprimer en toute liberté, sans imposer ses propres perceptions de leur réalité, mais il offre aussi la possibilité au sociologue Olivier Filleule, directeur de recherche du Centre national de la recherche scientifique et spécialisée sur les questions de lutte et de militantisme, de contextualiser ce militantisme. Les échanges qu’ont les deux sont éclairants, particulièrement ceux sur la question de l’altruisme militant.

                                           

Avec son trait sympathique et séduisant, ses émotions nuancées, son indignation aussi intelligente que contenue, sa narration vivante et ses tranches de vie évocatrices, le bédéiste rend un visage, une authenticité et une véracité à des combats qui autrement peuvent nous apparaît un peu lointaines. Sous sa plume ce ne sont plus des personnages un peu froids, archétypaux et désincarnés qui nous parlent, mais de véritables êtres de chair et d’os qui luttent pour avoir le droit de vivre, et non pas de survivre, et de faire leur place au soleil.

En lutte m’a autant scotché que sa superbe trilogie L’odyssée d’Hakim, une bédé qui m’habite encore. Et tout comme elle, En lutte aborde avec simplicité et humanité le parcours de ces militants qui luttent pour améliorer leur vie et celle de leur communauté. Un regard rafraîchissant à hauteur d’homme, ou de femmes pour être plus précis, sans moralisme de bon aloi, de propagande idéologique et d’intellectualisme manichéen.

Une bande dessinée qui donne le goût de s’impliquer ou de continuer à le faire. Une bande dessinée qui nous rappelle que le changement se fait un geste à la fois. Une bande dessinée qui fait du bien et qu’on doit absolument lire.

Fabien Toulmé, En lutte, Delcourt.