Un tournage en enfer. Aux portes de la démesure.

                                                                      



Par Robert Laplante

Je l’ai trouvé ma bédé de l’été ! Dès que j’ai su qu’elle allait être publiée, j’avais déjà le pressentiment qu’elle allait être une de mes favorites de la belle saison. Non seulement elle ne m’a pas déçu, mais elle a surpassé mes attentes.

                                       


Il faut dire qu’elle avait tout pour me plaire. Il est question de cinéma, d’anecdotes, de tournage et du nouvel Hollywood, une période du cinéma américain dont je ne me lasse jamais. Mais plus que tout, elle se consacrait à un de mes films préférés : Apocalypse Now. Un opéra filmique à la hauteur d’un cinéaste de génie qui finira par brûler ses ailes de celluloïd à force de frôler les lumières de la démesure. Un œuvre cinématographique dont la réalisation fut aussi sinon plus époustouflant que ce que la pellicule a proposé aux spectateurs.

                                             


À partir des notes de la production de sa femme publiées en 1979, 2001 pour la traduction française, et du passionnant documentaire : Hearts of Darkness : A Filmmaker’s Apocalyse « rendu difficilement visible aujourd’hui par un Coppola soucieux de sa légende » écrit en préface l’auteur de la BD Florent Silloray, Un tournage en enfer au cœur d’Apocalypse Now nous guide dans les coulisses d’un film qui se transforme en un drame épique digne des plus grandes tragédies grecques.


                                      


Avec son crescendo d’anecdotes évocatrices, Florent Silloray peint le portrait de la descente aux enfers d’un jeune réalisateur célébré qui, sous la pression des studios, des débordements du nouvel Hollywood et des catastrophes qui s’accumulent, se montre « dépressif, torturé, volage, excessif, mégalomane et totalement paranoïaque ».

Ce film qui devait être la toute première réalisation critique sur les dérives de l’intervention de l’Oncle Sam au Viêt-nam devra céder son titre au Deer Hunter de Michael Cimino, faute de copie montée à présenter en salle.



Ce film qui devait être l’apothéose du nouvel Hollywood, cette nouvelle façon qui donnait plus de place à de jeunes réalisateurs, à de jeunes scénaristes et à de jeunes comédiens et qui psychanalysaient l’Amérique sous toutes ses coutures, sera ironiquement un de ceux qui cloueront son cercueil. Tout comme le Heaven’s Gate du même Cimino 

                                                   


qui conduira United Artists à la banqueroute. Deux chefs-d’œuvre victimes du charcutage des grands studios.

Superbement narré par Silloray : Un tournage en enfer, au cœur d’Apocalypse Now est un polaroid de la société américaine et d’une institution cinématographique en plein bouleversement. Un 7art secoué par ces jeunes réalisateurs qui tentent différentes façons de faire, tel repousser les frontières de leur liberté et raconter ce qui ne doit pas l’être. Une industrie, où l’argent coule à flots entre les mains de ces génies de la pellicule qui, comme Coppola, finissent par y laisser une partie de leur innocence, de leur vie de couple, de leurs amitiés et même de leur santé mentale.

                                              


Dès les premières scènes désastreuses d’Harvey Keitel, plus à l’aise sur les trottoirs des quartiers glauques de la Grosse Pomme que dans la jungle sud-asiatique, à la crise cardiaque, cachée aux responsables du studio, de Martin Sheen c’est toute cette grandiloquente odyssée qui prend vie sous la plume de Silloray.

Que ce soit le refus de l’armée américaine de prêter ses hélicoptères à la production, le typhon qui détruira les décors, l’omniprésence de drogue sur le plateau, l’imprévisibilité de Marlon Brando, l’alcoolisme de Martin Sheen, la toxicité de Dennis Hopper, la réécriture constante du scénario, l’impossible fin, les longues et épuisantes journées de tournage, le climat étouffant d’humidité, les négociations ardues avec les bonzes du studio, l’insatisfaisant montage ou les querelles juridiques pour l’utilisation de la version de Sir Georg Solti de La chevauchée des Walkyries, rien de cette catastrophique aventure n’échappe au bédéiste.


                                       


Un tournage en enfer, au cœur d’Apocalypse Now est une visite au cœur de la démesure. Tout comme l’était : Burden of Dreams le documentaire consacré a un chaos nommé Fitzcarraldo d’Herzog. Un voyage au cœur de l’incontrôlable folie créative d’un réalisateur prêt à tous les excès pour raconter sa vision.

J’en ai encore le souffle coupé.

Florent Silloray, Un tournage enfer, au cœur d’Apocalypse Now, Casterman

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