Vague de froid : Les neiges du Preikestolen

                                                             



Par Robert Laplante

Je ne sais pas si c’est à cause de la vague de chaleur qui vient de nous frapper, mais j’ai beaucoup pensé à la Norvège ces dernières semaines. à ses magnifiques paysages indomptés. J’ai toujours rêvé de la découvrir, mais l’occasion ne s’est jamais présentée. L’appel du pays du soleil de Minuit c’est fait plus pressant la semaine dernière.

Toutefois, je ne suis pas le seul qui s’est senti attiré par les mystérieuses brumes du pays des Fjords, Martin et son petit frère Jules, les deux habitants de Liège l’ont aussi entendu. Mais soyons honnêtes, ce n’était pas le même appel. Pour eux, c’était beaucoup plus le besoin de se frotter au Preikestolen, une imposante falaise de Norvège qui culmine à 604 mètres au-dessus des eaux du Lysefjord. Un lieu impressionnant qui séduit bon an mal an des milliers de randonneurs.

                                        


Ce n’est pas tant l’exploit sportif qui attire Martin que la possibilité, en la grimpant, de faire la paix avec une souffrance et une douleur qui le détruit à petit feu. Depuis le décès de son bébé, Martin est rongé par ses démons, sa culpabilité et son incapacité à se pardonner. De plus en plus isolé dans son mutisme, il est en train de perdre de pied.

Hypnotique « road bande dessinée », si vous me passez l’expression, Vague de Froid impressionne par sa simplicité, sa retenue et son rythme collé sur celui de ces longues randonnées silencieuses sous l’œil de la nature immuable et du temps qui s’égrène imperceptiblement. Loin du quotidien enivrant et bruyant des villes modernes et de ses tourbillons qui emportent tout sur leurs passages, Martin doit réapprendre à vivre, à se faire confiance et à communiquer avec les autres. Ce qui n’est pas une mince tâche, pour celui que la souffrance a rendu encore plus bourru, impulsif, impatient, ermite et dépressif que d’habitude.

                                                      


Je vous voir venir. Vous vous dites sûrement que cette histoire dégouline de pathos et d’une espèce de fascination « boboesque » de la mythologie nordique à la mode et « tellement plus authentique que les autres récits nationaux occidentaux. » Et vous savez quoi, vous auriez bien raison de vous méfier. Moi aussi j’avais des doutes.

Dès ses premières pages, Jean Cremers a su faire tomber toutes mes appréhensions. Nous sommes très loin de ces histoires de route pleines de larmes, qui suintent les bons sentiments, où le bougon revient de sa quête initiatique transformée, lumineuse, en paix avec lui-même et avec la vie. Vous savez le genre de scénario cinématographique diffusé à la pelletée le dimanche matin à TVA.

Jean Cremers a abordé ce parcours rédempteur, avec beaucoup de délicatesse et de pudeur. Jamais il ne va trop loin, sonne faux, et tombe dans la surenchère émotive. Tous les traits sont essentiels et au bon endroit.

                                              


Les mystères qui accompagnent les randonneurs, qui enveloppent dominé par la magnificence du Preikestolen, inébranlable géant de pierre endormi, vestige d’une époque où de puissants dieux aux comportements trop naturels y erraient.

Économe dans ses mots, ses dessins, ses dialogues, son tempo généreux dans ses silences, Cremers trouve la cadence parfaite pour sa réconfortante histoire. Un rythme qui repose sur l’atmosphère, les non-dits et la présence de ces dieux nordiques et de leurs messagers qui pour se faire voir prennent quelques fois l’apparence humaine. Du moins j’aime à le croire.

Si un jour je finis par aller en Norvège, ce ne sera plus pour fuir une insupportable canicule montréalaise. Oh que non ! Mais pour, tout comme Martin, me reconnecter avec moi-même et retrouver la plénitude de ces magnifiques paysages épargnés par la frénésie un peu vaine de nos vies modernes où on passe souvent à côté de l’authenticité.

Un bien beau, voyage que celui que m’a proposé Jean Cremers.

Jean Cremers, Vague de froid, Le lombard.

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