Zaroff : Le son de l’hallali.

 

                                                             


Par Robert Laplante

L’été bédé, qui s’en va tranquillement, nous réservait encore une dernière belle surprise. Un ultime magnifique coucher de soleil avant la mélancolie pluvieuse de l’automne. Le genre de cadeau que nous devons à tout prix placer sur la liste des pépites de l’année. Mais, je n’aurais jamais cru qu’elle aurait pris la forme du retour du terrifiant comte Zaroff. Vous avez bien lu : le comte Zaroff Il avait manifestement en réserve quelques chasses mémorables. Après tout, un chasseur comme lui ne peut pas se mettre au vert trop longtemps. Même la fuite dans l’anonymat à une fin.

                                          


Stanborrough, Maine, novembre 1941. Un petit bataillon conduit par le commandant Rainsford enquête sur la perte d’un vagabond qui aurait été vu dans les forêts ancestrales du Maine. Peut-être celles de Stephen King, poursuivi par un prédateur et 4 molosses en furie. Déplacer, en pleine guerre, des militaires pour un banal fait divers, c’est quand même étrange. Et si le chasseur en question était le fameux comte Zaroff qu’on croyait disparu ?

Le capitaine Rainsford, à la tête des militaires, aimerait bien que ce soit lui. Pourquoi ? Parce qu’il a justement ordre de le ramener à Washington où les grosses légumes du Bureau scientifique de la Recherche et Développement veulent le rencontrer.

Son ancienne flamme de jeunesse, alors qu’il était encore en Russie, est une scientifique talentueuse qui travaille pour l’organisme russe chargé de réaliser une bombe atomique. Comme les Allemands sont proches d’acquérir la leur, et que le projet américain a pris un peu de retard, l’armée doit absolument le persuader de passer à l’ouest.

                                  


Mais comment convaincre une patriote soviétique de collaborer avec le démon américain ? Peut-être en lui envoyant son ancien amant à qui ont fait miroiter la liberté et la plus dangereuse des chasses : celle aux nazis. Il y a bien des choses, que le Oppenheimer de Christopher Nolan ne nous a pas dites.

Que je fus content, quand le livreur sonna à ma porte avec la Vengeance de Zaroff. Enchaînement de Zaroff 


                                              


une bande dessinée qui avait fait partie de mon top 10 l’année de sa publication. J’étais heureux, mais aussi un brin craintif. Après tout, le premier tome m’avait à ce point impressionné que l’enjeu d’en faire un second me paraissait un peu casse-gueule. Je me demandais ce que Miville-Deschênes et Runberg allaient pouvoir dire de nouveau sur ce personnage. Le précédent tome me semblait tellement parfait que j’avais peur que la suite soit un peu artificielle, pour ne pas dire inutile.

                                          


Je dois admettre que je me suis trompé royalement. Le défi a été relevé haut la main. Non seulement il le complète à merveille, mais j’oserais dire qu’il est même supérieur.

Il faut avouer que l’idée de lui faire jouer un rôle improbable dans la Seconde Guerre mondiale est un filon irrésistible. Que les auteurs ont su exploiter avec intelligence. Après tout, un chasseur du talent de Zaroff est au bon endroit dans un théâtre aussi chaotique que l’Union soviétique pendant l’invasion allemande. Et puis seule une bête encore plus implacable et atroce que les nazis peut les vaincre. Et pour être plus impitoyable et cruelle que les nazis, Zaroff l’est.


Si la bédé est rythmée, pleine de rebondissements, sans temps morts, avec une conclusion particulièrement réussie, si elle nous tient en haleine du début à la fin c’est évidemment grâce au scénario de Runberg et de Miville-Deschênes. Ces derniers ont su concocter une suite parfaite où le comte s’affranchit de la nouvelle de Richard Connell, et du légendaire film qui en a été tiré, pour se mouler à leur plume. Exit le mythique Zaroff d’une autre époque. Bienvenue dans le nouveau Zaroff plus ambigu, plus humain, plus imprévisible, plus incontrôlable, moins archétypale mais toujours, sinon plus, dangereux. Surtout avec la bénédiction de l’armée américaine.

Miville-Deschênes prend un plaisir fou à illustrer cette expédition folle, pleine de neiges inquiétantes, de froid insoutenable, de forêts étouffantes, de nuits anxiogènes et de crépuscules sanglants. Le réalisme dynamique du dessinateur cadre parfaitement dans une histoire où aucune porte de sortie ne semble exister.

Miville-Deschênes est en parfaite harmonie avec le scénario. L’efficacité redoutable de son trait, sa retenue et son montage cinématographique transforment cette chasse en une angoissante symphonie sanglante. Celle de la proie qui sent l’hallali sonner. Celle du chasseur qui s’amuse avec elle avant de la croquer par la suite


Si j’ai passé un aussi bon moment avec Zaroff on ne peut pas dire de même du capitaine Rainsford… Mais chut, ceci est une autre histoire.

Miville-Deschênes, Runberg, La vengeance de Zaroff, Lombard.

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