Havana Connection : Le gangster qui venait du froid

 

                                                             


Par Robert Laplante

Parmi tous les membres de notre panthéon des criminels, Lucien Rivard 


                                            


occupe une place bien à part. À cause de sa spectaculaire évasion de la prison de Bordeaux. Tellement improbable qu’aucun auteur de fiction n’aurait été capable de l’imaginer. Mais aussi parce qu’il fut un des partenaires du mythique « french connection », 


                                                  


qu’il travailla avec les emblématiques mafieux Meyer Lansky et Santo Trafficante, qu’il organisa le trafic d’héroïne à Cuba et qu’il vendit, pendant la révolution, des armes aux « barbudos » de Fidel. Y a pas à dire Rivard occupe vraiment une place à part dans notre temple de la renommée du crime. Des Québécois qui ont joué dans la cour des légendes du banditisme, il n’y en a quand même pas eu des masses.

Après s’être intéressé à l’abbé Delorme,

                                         


un prêtre meurtrier, et à Richard Blass,


                                                          


un autre de nos grands criminels, Michel Viau porte maintenant son regard vers Lucien Rivard. Mais attention pas n’importe lequel. Celui qui débarqua, quelque part durant l’été 1956, dans la capitale cubaine pour s’occuper de son casino : le Monte-Carlo.

Lucien Rivard, propriétaire d’un casino à Cuba ? Surprenant n’est-ce pas. Pas tant que çela, puisque depuis que son président Rubén Fulgencio Batista y Zaldíva a relancé le secteur du jeu et facilité l’implantation d’hôtels, de cabarets et de casinos, on se bouscule au portillon pour y faire des affaires, pas toujours légales, se prospérer et s’enivrer de la chaleur des nuits havanaises.

Hélas, on s’en doute, les richesses des casinos ne profitent qu’à un petit groupe d’individus. Ceux qui sont proches du dictateur. La population, elle, du moins une grande partie, continue de vivre dans la pauvreté. Mais la colère gronde dans les chaumières cubaines. Il ne manque qu’une personne charismatique pour la canaliser : Fidel Castro.

De 1956 à son expulsion par le Líder máximo, en 1958, Lucien Rivard sera un des gangsters les plus puissants et les plus discrets de l’île. Une véritable énigme qui nageait avec retenue dans une mer pleine de requins imbus d’eux-mêmes. Refusant de faire des vagues, il louvoyait avec aisance entre Batista, ses partenaires mafieux et les barbus de Fidel Castro. Rivard a toujours su rester loin des projecteurs tout comme il ne sait jamais vraiment impliqué dans la politique… Sauf quand il y avait du blé à la clé.


                                          


Michel Viau propose avec Havana Connection son scénario le plus mature, le plus abouti. Celui où il réussit à combiner toutes ses immenses qualités narratives. Il faut dire qu’avec une histoire aussi séduisante, de la trempe de ces grands films de gangsters américains et français qui ont nourri mon imaginaire, sa bédé ne pouvait que me plaire. D’autant plus qu’elle se déroule lors des derniers jours de Batista et de la prise de pouvoir de Castro, une période qui me fascine.

Un peu comme l’avait fait Coppola dans son deuxième opus du Parrain, Viau métisse allègrement la petite et la grande histoire. Sans jamais sacrifier l’une au profit de l’autre, sans ne jamais dénaturer les événements historiques ou désincarner les protagonistes devenus depuis des archétypes. Son Lucien Rivard est paradoxal, inquiétant et séduisant, déchiré par ses zones d’ombre et de lumière, ses passions, son code éthique et ses comportements qui ne sont pas toujours honorables.


                                        


À la différence de Charles Binamé et de son film Le piège Américain


                                         


consacré lui aussi à Rivard, Viau a eu l’intelligence de ne se consacrer qu’à sa période cubaine. Exit l’avant et l’après-Cuba. Exit sa cavale américaine. Exit sa pseudoparticipation à l’assassinat de JFK. Un choix intelligent qui permet au scénariste de lui donner plus d’air pour respirer, de lui restituer une humanité et une ambiguïté que le mythe lui a peut-être confisquée et d’explorer toutes ses contradictions.

Appuyé par l’efficace et élégant trait de Djibril Morissette-Phan, aux parfums des illustrateurs de l’âge d’or de la BD américaine, Viau prend un polaroïd presque cinématographique de cette épopée bien québécoise en terre cubaine.

Et quand on y pense bien, si Rivard avait été exécuté par les barbudos comme il était prévu à l’origine, on aurait eu deux personnages importants de notre imaginaire collectif populaire, deux individus décomplexés et assurés qui négociaient avec les grands de ce monde, enterrés à Cuba : Pierre le Moyne d’Iberville le mythique corsaire et Lucien Rivard le légendaire gangster.

Mais comme Lucien Rivard n’y est pas mort, il ne reste que Pierre Lemoyne d’Iberville pour rappeler aux Cubains et aux touristes qu’il y a un peu du Québec dans la magnifique île du Buena Vista Social Club.

Une excellente bande dessinée.

Michel Viau, Djibril Morisette-Phan, Havana Connection, Glénat.

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