Alors tout tombe : L’irrésistible chute du dernier empereur de New York

 

                                                  


Par Robert Laplante

Les villes sont des décors fabuleux pour les romans noirs et leurs pendants cinématographiques ainsi qu’en bandes dessinées. Ce sont même des viviers fertiles que les créateurs, talentueux ou non, ne se lassent pas d’explorer. Pas pour rien, que tant d’auteurs de polars glauques en ont fait leur terrain de jeux. Les jungles d’asphalte sont de prodigieux microcosmes où se côtoie ceux qui y sont à la recherche d’un paradis, d’opportunités ou d’un autre départ, ceux qui y ont échoué sous le poids de leurs rêves brisés, ceux qui y attendent un coup de pouce du destin et ceux qui sont prêts à tout pour assouvir leur soif de pouvoir et de puissance.

                                


Prenez par exemple Salomon : le maître bâtisseur de New York. Avec son armée de fonctionnaires et de décideurs, dont le maire lui-même, il est définitivement l’empereur de la Grosse Pomme. Un modèle à suivre ou l’illustration parfaite du rêve américain, celui qu’on aime citer en exemple.

Mais, il y a toujours quelque chose de pourri au royaume du Danemark, c’est bien connu. Quelque chose que Salomon ne veut surtout pas voir remonter à la surface. L’empire du magnat immobilier à été édifié sur un monceau de cadavres, dont celui du président du syndicat des transports publics, infiltré par la mafia.

                                      


Il y a un os dans la moulinette du nom de Blacksad. Le légendaire privé de Juan Dìaz Canales et Juanjo Guarnido est chargé d’enquêter sur la disparition soudaine du chef syndical. Comme Blacksad pose beaucoup de questions, trop diront certains, et qu’il lève plusieurs lièvres, il se retrouve vite sur les platebandes de Salomon. Et celles-ci ne sont pas que remplies de magnifiques fleurs, elles ont également un sol riche en oligo-éléments. Peut-être qu’en fin de compte, les cadavres en décomposition sont de puissants fertilisants.

Superbe conclusion d’un diptyque qui l’est tout autant, Alors, tout tombe seconde partie est une réussite sur toute la ligne. Juan Dìaz Canales attache avec aisance tous les fils qu’il avait déroulés dans le premier opus sans avoir à sortir de son chapeau deux ou trois lapins aussi soudains que surprenants. À la différence d’un bon nombre de scénaristes et de romanciers, qui à l’occasion se piègent dans leurs récits, Dìaz Canales ne donne jamais l’impression d’être perdu dans sa narration. Tous les indices qu’il dissémine imperceptiblement au fil des deux tomes lui permettent de boucler logiquement son enquête sans nous laisser le sentiment qu’il rattache maladroitement les fils pour respecter la cadence de pages prévues.

                                    


Avec ses parfums de films et de romans noirs de la grande époque, on pense à Asphalt Jungle de John Huston,

                                            


 à Chinatown de Roman Polanski, 

                                


mais surtout à Main basse sur la ville de Francesco Rossi,


                                              


 Dìaz Canales propose un récit où les ambitions démesurées des ultra riches gangrènent les quartiers populaires et pauvres. Ces quartiers, enjeux de la soif insatiable de pouvoir de ces accapareurs du rêve américain qui en plus de les détruire transforment leurs habitants en laquais.

Sous la plume du scénariste, Blacksad se promène dans ces deux mondes avec la même aisance, , l’identique pugnacité, la même agressivité contrôlée et l’inchangé détachement taciturne, secouant le cocotier de deux milieux qui n’aiment pas être ébranlés. De quoi se faire rapidement des ennemis. Normal, me direz-vous, on ne s’attaque pas à l’empereur de la ville qui ne dort jamais sans en payer le prix fort.

                                         


Formidable conteur ; Dìaz Canales échafaude un polar irrésistible, sans temps morts. Une enquête qu’il faut lire avec attention pour ne perdre aucun indice, aucune révélation discrète, aucune observation sociale et aucune réplique assassine aux sonorités des Canardo, Nestor Burma et Eddie Ginley, le privé interprété par Albert Finney dans l’excellent Gumhoes de Stephen Frears.

Si tous les Blacksad sont au point de vue scénaristique des petites pierres précieuses, quelques fois un peu moins bien taillées, il est vrai, les deux tomes d’Alors, tout tombe, eux, sont de véritables diamants finement ciselés.

Mais rien de tout cela ne serait possible, sans le trait exceptionnel de Juanjo Guarnido qui réussit à insuffler à son petit monde animalier une part de l’âme humaine, avec sa grandeur, sa petitesse, son obscurité, sa résilience et ses espoirs. Parfois en des lendemains qui bien souvent chantent un peu faux.

Un grand moment de bande dessinée. Et s’il s’agit, comme l’affirme la rumeur, de l’ultime Blacksad on ne pouvait rêver d’une meilleure finale. De celle qui reste dans la mémoire collective des passionnés de bandes dessinées.

Juan Dìaz Canales, Juanjo Guarnido, Blacksad, Alors, tout tombe, seconde partie, Dargaud

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