Photographes de guerre : Dans l’ombre de la menace franquiste

 

                                                                  


Par Robert Laplante

Tempus fugit dit le vieil adage. Presque aussi rapidement que notre capacité à tout oublier. Dans 7 ans, le 14 avril 2031, plus précisément, nous commémorons la proclamation de la Seconde République espagnole. Une seconde république qui a été contestée, répudiée, détestée, attaquée, mise à mort et enterrée par les nationalistes fascistes de Franco. 93 ans après sa naissance, les souvenirs de la Seconde République espagnole sont de moins en moins vivaces dans notre mémoire amnésique occidentale… et encore moins dans la Québécoise.

Hans Namuth et Georg Reisner, deux jeunes photojournalistes ont témoigné avec leurs photos de cette Espagne déchirée, laboratoire de la Seconde Guerre mondiale.

                                           


 Moins connus que leurs collègues Robert Capa et Gerda Taro, moins connus qu’Hemingway, Gellhorn, Saint-Exupéry, Dos Passos, Malraux, Koestler, Ehrenbourg ou Renée Laffont, première journaliste fusillée pendant la guerre civile espagnole, Namuth et Reisner ont pourtant alimenté de leurs clichés poignants les revues occidentales les plus populaires et les plus prestigieuses. Mais la caravane de l’Histoire passe et les chiens qui aboient moins fort, même si leurs jappements sont tout aussi chargés de significations, que les autres se retrouvent souvent dans les brumes des limbes et des marges.

                                                


Lorsque le magazine français Vu les envoie couvrir les olympiades populaires de Barcelone, réponse pacifique et antifasciste à ceux de Berlin, ni eux ni leur rédacteur en chef ne s’attendaient à assister au déclenchement d’une guerre civile. Deux jours avant l’ouverture de la grande célébration sportive, le 17 juillet 1936 l’armée espagnole stationnée au Maroc se mutinait contre Madrid. En ce 19 juillet 1936, l’odeur pestilentielle de la guerre civile se faisait sentir.

                                          


Républicains et marxistes dans l’âme, ils ont fui l’Allemagne nazie, les deux photojournalistes parcourent le front à la recherche des instants les plus évocateurs du déchirement fratricide. Ceux qui pourraient faire réfléchir les démocraties occidentales et qui sait les encourager à donner leur appui à une république qui en a bien besoin. Sutout que le 3Reich et l’Italie mussolinienne ont décidé d’aider les troupes franquistes.

À travers l’objectif de leurs caméras, leurs choix narratifs, et leur refus de jouer les correspondants planqués, Namuth et Reisner racontent une autre guerre espagnole : celle du quotidien, celle de ceux qui en souffrent, celle des soldats anonymes qui défendent, au détriment de leur vie, la république, celle de ceux qui doutaient encore en la démocratie et la liberté.

                                         


Si le tandem illustre avec ses Leica et ses Rolleiflex la férocité des combats et la répression impitoyable du camp nationaliste, il n’hésite pas à dénoncer l’URSS. Une Union soviétique qui dès son arrivée s’empresse de liquider anarchistes, socialistes, modérés et en général tous ceux qui ne suivent pas aveuglément son dogmatisme et qui ne croient pas en l’infaillibilité de son chef suprême Staline.

Recherché autant par les franquistes que par les communistes, le duo, épuisé et traumatisé par les visages de la guerre et la sauvagerie des hommes, quitte l’Espagne pour la France, Une France où le binôme pourra reprendre le cours normal de la vie, celle d’avant 1936. Hélas les buccins de la guerre et le bruit des bottes ne sont jamais trop loin et le rêve français tourne rapidement au cauchemar avec l’armistice du 22 juin 1940.

                                         


Pour Namuth et Reisner, résolument antinazis, l’exil est de nouveau au programme. Si le premier réussit à rejoindre l’Amérique pour le second, juif, homosexuel et marxiste, il est trop tard. Le 21 décembre 1940, Reisner décède des suites d’une tentative de suicide au véronal deux jours plus tôt. Deux jours après sa disparition, le 23 décembre, il reçoit son visa pour se réfugier comme Namuth aux États-Unis. Un papier officiel qu’il attendait anxieusement, mais en vain !

Écrite par Reynal Pellicer, documentariste aux origines espagnoles et grand amateur de photographies, et Titwane illustrateur de presse, Photographes de guerre est une excellente bande dessinée qui nous emmène sur les terrains d’une guerre civile qui aujourd’hui encore, trouve écho dans notre actualité occidentale.

                                    


À partir de fragment de combats, les deux auteurs prennent le pouls, à la façon des reporters du nouveau journalisme, d’une société déchirée par un conflit fratricide. Le résultat est une succession de petits moments d’un quotidien de guerre comme l’avait fait Ken Loach dans son excellent film Land and Freedom.

Efficacement racontée par Pellicer et merveilleusement bien illustrée par Titwane, Photographes de guerre est une bande dessinée solide, une excellente vulgarisation de la guerre d’Espagne, de ses horreurs, de ses répercussions sur la suite de notre histoire et du drame de tous ces gens dont les vies ont été détruites par la montée de l’autoritarisme et l’intolérance.

Loin d’être une bédé historique désincarnée Photographes de guerre est une belle réussite, pleine d’émotion et de l’indignation nécessaire pour ne jamais oublier ce terrible conflit.

Et puis il faut bien l’avouer, découvrir d’autres photographes d’une époque qu’on réduit souvent qu’à Robert Capa, même si j’admire son travail, n’est pas pour me déplaire.

Raynal Pellicer, Titwane, Photographes de guerre Hans Namuth et Georg Reisner — 1936-1940, Albin Michel

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