Vingt décembre, La vanille de la discorde.

 

                                                                 


Par Robert Laplante

Il y a des noms que l’on n’a pas le droit d’oublier, même si l’histoire officielle le fait allègrement. Prenons le cas, d’Edmond Albius. Je suis certain que, tout comme moi, il ne vous dit rien.

Pourtant, Albius est encore très présent dans nos vies. D’une façon discrète, pour ne pas dire spectrale, il continue de jouer un rôle important. Surtout si vous aimez la vanille.

Le Réunionnais Edmond Albius est celui qui a trouvé comment polliniser la vanille. Une découverte qu’il a faite à l’âge de 12 ans et qui allait opérer la fortune et la renommée des riches planteurs de l’île de 2 512 km² et la joie de toutes les papilles gustatives du monde entier.

                                              


Mais comme vous pouvez vous l’imaginer, Edmond n’a pas tiré grand profit de son travail. Il a disparu dans la misère et l’anonymat absolu en 1880.

Et tout ça, parce qu’il était noir, esclave, pauvre et sans éducation. Dans un monde inégalitaire, fait sur mesure pour l’aristocratie blanche et sans futur pour ceux qui ne sont pas de la bonne couleur ou de bonne naissance, ça ne pardonne pas. Ce n’est pas pour rien que le botaniste Jean-Michel-Claude Richard ait tenté de l’occulter en prétendant lui avoir enseigné la technique de fécondation trois ou quatre ans plus tôt. Pas pour rien que parmi ceux qui reconnaissaient son apport, plusieurs affirmaient qu’il était blanc. Si l’île La Réunion a aboli l’esclavage le 20 décembre 1848, elle n’admet pour autant la contribution de ses nouveaux citoyens noirs.

                            


Pour lui rendre hommage, le tandem Appollo/Tehem lui a consacré une captivante bédé : Vingt décembre, chroniques de l’abolition. Elle raconte son histoire, la fin de l’esclavage et le début de la « liberté » dans cette région d’outre-mer français.

Née d’une résidence artistique aux Archives départementales de La Réunion, cette nouveauté est une œuvre de fiction nourrie des archives que les deux bédéistes ont explorées durant leur séjour. À partir des documents officiels et des journaux de l’époque, ils ont passé une partie de leur vie à la Réunion et travaillé à la mythique revue réunionnaise Le Cri du Margouillat. Et ils ont tenté de reconstituer la vie d’Edmond Albius, ainsi que le quotidien des Réunionnais nouvellement libres.

Bande dessinée très intéressante qui nous présente un expulsé de l’histoire. Vingt décembre, chroniques de l’abolition propose un polaroid fascinant sur une période importante de l’histoire occidentale et mondiale.

                                         


Si l’ambiance et le contexte historique sont bien restitués, si les dialogues ont le parfum de l’authenticité et si le trait est évocateur et dynamique, il reste que le tout manque un peu d’un je-ne-sais-quoi qui lui aurait permis de mieux unir entre eux les différents moments de vie que le tandem aborde.

À moins que ce ne soit une question de pages. Un second tome aurait sans doute donné aux deux bédéistes l’espace nécessaire pour mieux approfondir cette période riche en promesses et en déceptions. J’aurais aimé en savoir plus, j’aurais aimé que mon appétit insatiable, qu’ils avaient titillé dès les premières pages de l’album, soit complet en conclusion de lecture . Mais n’est-ce pas le lot d’une bonne partie de ces bandes dessinées historiques.

                                              


Toutefois, et il faut le souligner, en me titillant sur un personnage, une société et un événement que je ne connaissais pas, et que j’aurais dû connaître, les auteurs m’ont donné envie d’en savoir plus. Et ne serait-ce que pour cela : Vingt décembre, chronique de l’abolition mérite qu’on s’y attarde.

Appollo, Tehem, Vingt décembre, chronique de l’abolition, Dargaud.

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