La pièce manquante : le testament littéraire disparu du barde anglais

 

                                                      


Par Robert Laplante

Qu’est-ce qu’on ferait sans Shakespeare ? Je ne sais pas, mais il est évident que sans lui, nos paysages théâtraux et cinématographiques seraient moins riches. On peut se poser pareille question à propos de Cervantes. Sérieusement quel univers, même ceux du multivers, pourrait se passer des écrits de ces deux monuments. Des presque jumeaux cosmiques dans la mort puisqu’ils sont décédés à une journée d’intervalle la même année, le 22 avril 1616 pour l’Espagnol, le 23 avril pour l’Anglais. Un hasard qui ouvre de bien belles portes.

Alors, imaginons qu’ils se soient rencontrés pour discuter création, et pourquoi pas, s’emprunter des personnages. Jean Harambat a du talent et de l’inventivité. C’est sans doute pourquoi il s’engage sur ce chemin dans sa très sympathique bédé La pièce manquante.

Londres, 1744. Peg Wellington, populaire comédienne à besoin de nouveaux défis. Elle est un peu fatiguée de jouer les mêmes personnages. Elle a envie de découvrir un rôle à la mesure de son savoir-faire et de ses ambitions. Le problème, c’est que trouver un tel rôle pour une femme en 1744 c’est carrément la croix et la bannière. Pourtant, encore un coup du destin, elle entend, un jour, parler d’une pièce qui pourrait enfin la mettre en valeur. Un texte inconnu et disparu du grand Shakespeare.

Intriguée, la rouquine Wellington se lance dans une enthousiasmante enquête, autant pour elle et que pour moi, Miais d’autres mains aimeraient aussi s’emparer de cet énigmatique écrit. Parmi eux, on retrouve le comédien très populaire David Garrick, à qui elle fait de l’ombre depuis toujours. L’incontournable acteur, artisan de la résurrection du dramaturge, est prêt à tout pour l’accaparer. Et même plus.

                         


Amusante bande dessinée pleine de bonne humeur, de mots d’esprit et de cabotinage contrôlé, La pièce manquante traînait depuis des lustres dans ma pile de bandes dessinées à lire. Elle m’attirait et pourtant je reportais à chaque fois sa lecture, et sans savoir pourquoi. Quelle majestueuse erreur de ma part parce que j’ai eu un plaisir dément dans cette quête totalement folle pour découvrir les mots perdus du grand dramaturge.

Jean Harambat nous propose une truculente randonnée dans les coulisses de l’Angleterre théâtrale du XVIIIe siècle. Une irrésistible promenade où réalité, fiction, cabrioles, joyeuses tirades pleines de panache, quiproquos, imbroglios et extrapolations plausibles au parfum d’authenticité dansent ensemble dans une polka endiablée sauce Frank Yankovic.

                           


Hilarant chassé croisée incontrôlable, qui se transforme dans ses derniers instants en une presque comédie musicale aussi déjantée qu’insolite mais ô combien réjouissante, La pièce manquante est une délicieuse bédé où le voyage compte plus que la destination.

Belle surprise que je n’avais pas vue venir, La pièce manquante m’a redonné envie de renouer avec Shakespeare et même de revoir Anonymus dans cette production cinématographique germano-britannique de 2011 qui s’intéressait à la paternité de ses œuvres.

                              


J’aime beaucoup ces fictions où la réalité historique cède un peu de sa place à l’imagination, aux folles interprétations, aux mystères et aux conspirations maladroites et innocentes. Et la farce dessinée de Jean Harambat contient tous ses ingrédients. En demander plus serait un peu gênant.

Jean Harambat, La pièce manquante, Dargaud.

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