Vivre libre

Hommage à Gerard Chaliand

Homme de terrain et professeur atypique

Le grand tournant géopolitique

Les belles lettres

406 p

Je savais que son état de santé était très préoccupant. C’est donc avec une profonde tristesse que j’ai appris son décès le mercredi 20 août, annoncé par son fils Roch. Cette nouvelle m’a fait autant de peine que celle concernant la mort de Raymond Aron, du trompettiste Dizzy Gillespie, ou encore de mon ami Philippe Bonnel, des personnes fières et combatives, qui ont marqué ma vie d’une certaine façon.

                                            


Il y a plus de quarante ans, j’ai eu l’occasion de  le rencontrer pour la première fois alors que j’étudiais en sciences politiques à l’UQAM. À l’époque, une partie des étudiants, sans trop savoir, juraient plus par Franz Fanon, Marx et Lénine que par Raymond Aron, Jean-François Revel ou Bernard Brodie, l’un des penseurs qui ont abordé le monde atomique avec un texte percutant : To Bow from H Bomb.

Depuis son plus jeune âge, Gerard Chaliand, né en 1934, a quitté son domicile pour s’aventurer dans le monde. Ce fils d’Arménien, dont la famille a été victime de la brutalité du gouvernement jeune turc en 1917, le génocide arménien, avait soif de connaissances.


                                        


Il a décidé de se joindre aux personnes qui combattent les régimes coloniaux. On le verra en Algérie, en Guinée-Bissau au côté d’Amilcar Cabral, qu’il décrira dans un portrait émouvant. Il sera également présent dans les maquis sud-américains, au Vietnam pendant les bombardements, en Érythrée, puis en Afghanistan, auprès du commandant Massoud. Il est important de noter que Gérard resta toujours impartial, n’étant affilié à aucune organisation. Cette indépendance lui a permis d’avoir un point de vue très perspicace sur les événements avant, pendant et après les conflits. Grâce à ses quatre langues maternelles et à sa maîtrise de divers dialectes, il s’adaptait aisément à ces communautés en expansion, en combinant savoir pratique et théorique. Mythes révolutionnaires du Tiers-Monde demeure son œuvre la plus célèbre. Elle a certainement fait grincer des dents à son époque. Il a également soumis à l’épreuve l’estime de soi de certains penseurs qui n’avaient jamais ressenti l’attrait du feu.

Au cours de ma carrière, j’ai eu l’occasion d’interviewer à maintes reprises Georges Chaliand. Cela s’est produit dans divers contextes, que ce soit lorsqu’il a coécrit « L’Atlas stratégique » avec Jean-Pierre Rageau, quand il nous a fait part de souvenirs personnels, ou encore lorsqu’il a dirigé la vaste encyclopédie sur la stratégie militaire aux éditions Bouquin, qui comprend des auteurs tels que Thucydide, Sun Tzu, Clausewitz, Ardant du Picq, Alfred Mahan et bien d’autres.

Chaliand était clair et franc, détestant profondément les hypocrites et les âmes sensibles. Ses critiques étaient sévères, mais jamais cruelles.

Un livre-testament, à quelques détails près.

Je ne pense pas que Gérard Chaliand ait eu l’occasion de lire les commentaires sur son dernier ouvrage, intitulé « Le grand tournant politique » (Les Belles Lettres, 400 p.) et préfacé par Hubert Védrine, sous la direction de Sophie Mousset. Cette dernière est une des rares femmes à travailler sur le terrain dans le domaine des conflits. Ce livre, qui se lit comme un récit, nous emmène à travers des entrevues et des textes dans le monde en développement, les conflits, la guérilla et les portraits de personnages influents. Gerard Chaliand nous transporte de bout en bout avec un discours remarquable et puissant qui nous incite à réfléchir à un monde multipolaire dont l’issue est inconnue.

Un cadeau inestimable

Nous terminerons cet hommage avec les paroles du disparu  :

Je suis un irrégulier, qui s’est efforcé de rendre compte le plus rigoureusement possible du monde contemporain et des conflits qui le caractérisent depuis un demi-siècle.

Le reflux de l’Occident, et plus particulièrement de l’Europe, n’est pas du domaine de l’opinion, mais du constat.

Il y a La géopolitique des empires 1, paru en 2010, se concluait par ces lignes : « Sans doute, assistons-nous à l’amenuisement de la suprématie des États-Unis sur l’économie mondiale, mais ce qui s’esquisse sous nos yeux, au-delà du brouillard de la crise, annonce le début de la fin de l’hégémonie absolue exercée par l’Occident depuis quelque trois siècles. »

C’était à l’époque une opinion très peu partagée.

Les États-Unis ont désormais un rival global, la Chine, tandis que l’Union soviétique n’était qu’un adversaire militaire et spatial.


Souce :la revue Le grand continent, août 2025

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