Supermatou : Ça jouer dur à Raminagroville.

 

                                                                   


Par Robert Laplante

J’ai grandi avec Spirou et Pilote. Ça, vous le savez déjà. Ce que vous ne savez pas toutefois, c’est que j’ai aussi grandi avec Pif Poche et Pif Gadget. Deux magazines que j’empruntais à l’infirmière qui me faisait des injections pour me désensibiliser de nombreuses allergies que j’avais enfant. Tous les lundis, je me rendais à son domicile pour les recevoir et pour me faire patienter, le temps de voir si j’avais une réaction, elle me prêtait un Pif Gadget ou un Pif Poche que ses enfants lisaient.

Parmi mes héros préférés de Pif, il y avec Arthur le fantôme justicier de Cézard : Gai-Luron le chien philosophe de Gotlib, Teddy Ted le cowboy solitaire de Lécureux et Forton et Horace le cheval de l’Ouest, un délirant western humoristique signé Jean-Claude Poirier. Horace pour moi c’était le top de Pif. Ce fut sans doute mon premier contact avec un humour totalement absurde qui me conduira quelques courtes années plus tard à chercher avec avidité les Pilotes de la grande époque, lorsque René Goscinny présidait à ses destinées.

                                                 


Horace n’était pas la seule bande dessinée délirante de Poirier, un bédéiste déjanté qui nous a quittés, beaucoup trop tôt, en 1980 à l’âge de 37 ans. Il y avait aussi Supermatou, une hilarante BD de superhéros qui me faisait bien rigoler. Alors que je n’ai jamais oublié Horace, dont une intégrale est prévue en 2025, Supermatou lui était un peu enfoui au fin fond de ma mémoire.

Une fois que je me suis replongé dans les premières pages du tome initial de son intégrale, je me suis retrouvé comme Proust dégustant une de ses madeleines. Je me suis rappelé tout le plaisir que j’avais jadis à dévorer les courtes histoires de ce super héros bien singulier.

Modeste Minet est un enfant d’environ dix ans. Un gamin qui mène une vie normale dans la ville de Raminagroville. À vrai dire, il n’y a rien qui distingue Modeste des petits de son âge, si ce n’est sa force physique herculéenne et un étrange costume de superhéros qui lui permet de voler.

                                               


Accompagné de son fidèle compagnon canin, un cocker nommé Robert, qui parle, marche debout et démontre une intelligence exceptionnelle qui rivalise avec celle de monsieur Einstein, Modeste Minet combat le crime. Mais un superhéros de 10 ans qui se nomme Modeste, ça ne fait pas sérieux. Alors, quand un crime se comment, il revêt son costume et devient Supermatou. Parce que des crimes il y en a à Raminagroville. Derrière ses airs de coquette ville fleurie où rien ne se passe, cette cité est une véritable Sainte-barbe qui ne demande qu’à exploser.

Bande dessinée à l’origine destinée à un public jeunesse, on est quand même dans Pif Gadget, Supermatou est un petit Mickey graphiquement, totalement loufoque. Avec ses couleurs chaudes, éclatantes et réjouissantes aux teintes de rose bonbon, vert pomme et jaune citron, Supermatou nous donner l’impression d’être dans un épisode de la série télé Batman, celles des années 60, ou dans le Swinging London d’Austin Powers.

                                          


Mélange de Gotlib et de l’indispensable Jacovitti dont il partage le même goût pour la fantaisie, l’absurde et le délire, Poirier propose un monde où tout peut arriver. Un univers, où le joueur de flûte de Hamelin est devenu un fakir de second ordre dans un très mauvais spectacle. Il va se venger des Raminagrovillois, qui l’ont conspué violemment, ensorcelant toutes les maisons de la ville pour qu’elles se jettent dans la rivière. Un univers où les scientifiques, un peu distraits, et quelques fois méchants, laissent traîner des potions catastrophiques qui bouleversent les habitudes des citadins. Au hasard des cases apparaissent une panthère mauve et une girafe «mordillesque,» des hommages à deux de ses grandes influences, soit : Fritz Freleng, créateur de la Panthère rose, et Mordillo qui publiait ses dessins dans Pif Gadget à la même époque.

Totalement champ gauche, les bandes dessinées de Poirier m’ont beaucoup fait penser à des émissions comme La Fricassée. Minute moumoute, Capitaine Bonhomme ou encore Do Not Adjust Your Set une émission jeunesse britannique, diffusée de 1967 à 1969, vite devenue la coqueluche des jeunes adultes et des adolescents séduit par son humour totalement désopilant. Il faut dire qu’avec 3 membres des futurs Monty Pythons. On ne pouvait s’attendre à tout sauf à une émission jeunesse inoffensive.

Un long détour pour dire que sous ses apparences de bédé innocente Supermatou, comme Horace d’ailleurs, fait preuve d’un humour totalement foldingue et libre qui rejoint aussi bien les enfants que les plus vieux. Un humour typiquement 1970 quand tout semblait encore permis. Une franche rigolade «made in France» qui trouve encore aujourd’hui, en ces temps de superhéros existentialistes, sombres, hyper sérieux, un peu trop présents et mêlés à toutes les sauces, des échos et une pertinence.

Quelle belle idée d’avoir réédité ce Poirier qu’on a oublié aujourd’hui. Mais dont l’empreinte me semble encore visible chez plusieurs bédéistes. J’ai déjà hâte à l’intégrale d’Horace.

Jean-Claude Poirier, Supermatou, l’intégrale tome 1, les éditions Revival.

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