Après la rafle, la flamme vacillante de l’espoir

                                                                           


Par Robert Laplante

Certaines tragédies sont si profondément marquantes qu’elles impriment une marque indélébile sur plusieurs générations. D’autres sont tellement horribles que les victimes et les coupables en porteront les cicatrices pour toujours. Il y a des drames insupportables dont les souvenirs feront éternellement tache sur le roman national qu’on tente d’écrire en racontant des authenticités, des demi-vérités, des mensonges, des erreurs, des monstruosités et des rendez-vous avec le côté sombre de l’histoire.

Après la rafle.

La France de Vichy a été du mauvais côté de l’histoire. Elle a manifesté sa hâte à livrer des Juifs aux nazis, ce qui n’a rien fait pour redorer son blason déjà entaché par l’infâme armistice du 22 juin 1940. Sur les 320 000 Juifs vivant alors en France, 76 000 ont été déportés vers un camp de la mort, tandis qu’environ 3000 sont décédés dans les camps d’internement situés sur le sol français. Voilà les chiffres que donne Serge Klarsfeld.

Joseph Weismann fut un des rares à pouvoir échapper des camps français. Mais les ont-ils vraiment quittés ? Le 16 juillet 1942, JO à 11 ans. Des policiers viennent le chercher, lui et toute sa famille, pour les conduire au Vel d’HIV, qui a été transformé en une énorme prison. Transféré ensuite au camp de Beaune-la-Rollande, le gamin voit ses parents et ses deux sœurs prendre le train pour Auschwitz. Seul, dans un camp peuplé d’orphelins, Jo prend la décision de s’enfuir. Nourri par l’énergie du désespoir, Jo réussira l’impossible et faussera compagnie à ses geôliers.



                                




Après la rafle est un des romans graphiques les plus bouleversants de ces dernières années. Il est inspiré de la vie de Joseph Weismann et a été publié pour la première fois en 2022 avant d’être réédité en 2025. L’adaptation en bande dessinée, signée Arnaud Delalande et Laurent Bidot, est douloureuse. Elle nous fait mal à nous-mêmes, que ce soit par notre insouciance, notre indifférence, notre sélectivité dans l’indignation, notre lâcheté ou notre humanité qui est mise à rude épreuve.

Vertigineuse descente dans les coulisses d’une tragédie inimaginable : Après la rafle atteste de l’illustré de ces gamins, emprisonnés dans ces camps de transit, dirigés de main de fer par des policiers français trop zélés et des soldats allemands trop impitoyables. Un quotidien fait d’humiliations, de peur, de résilience, de lutte pour sa survie, de trahisons et de déshumanisation.

                                     


Servi par les mots magiques de Delalande, par le trait implacable et rugueux de Laurent Bidot et par les couleurs désespérées de Clémence Jollois, le témoignage de Joseph Weismann prend une tout autre dimension. Le trio a réussi à représenter parfaitement, en images, en mots, en couleurs, en sons et en odeurs, l’effroyable quotidienneté qui règne dans ce camp où mort, atrocité et obscurité dominent.

Cette bande dessinée puissante, intitulée « Après la rafle », se lit lentement, car elle nous émeut radicalement, nous secoue et nous incite à nous interroger sur des sujets qui nous sont difficiles. Il faut prendre son temps et lire attentivement les 126 pages de ce livre, car c’est le prix à payer pour pouvoir vaincre l’horreur et l’abominable.

Un prononcé profondément troublant.

                                              


                                    

Les enfants du Buchenwald

Joseph Weismann met surtout l’accent sur son séjour à Beaune-la-Rolande dans Après la rafle, tandis que Dominique Missika et Anaïs Depommier s’intéressent plutôt aux difficultés rencontrées par les enfants du camp de Buchenwald lors de leur retour à la normalité après la guerre.

Ces enfants ont été trahis par des adultes qui leur ont fait subir les pires atrocités. Souvent orphelins ou séparés de leurs parents, morts dans les camps, ils doivent s’adapter à une nouvelle réalité, après avoir connu l'innommable.

                              


Le 11 avril 1945, l’Allemagne est en déroute. Dès 10 h 15, les premiers bombardiers alliés fendent le ciel au-dessus de Buchenwald. Les troupes alliées sont seulement à quelques kilomètres. À midi, les nazis abandonnent le camp, laissant derrière eux quelques soldats. À 14 h, la résistance interne du camp entame sa libération. Vers 15 heures 15, la révolte triomphe au camp, précédant l’arrivée des chars de l’unité du 20e corps de la 3e Armée du général George Patton.

                                 


S’ensuit le retour à la vie normale pour tous ces prisonniers et ces enfants sans famille, qui ont connu un enfer presque inimaginable de nos jours.

Grâce à leur séjour au Préventorium départemental de l’Eure, un camp opéré par L’œuvre du Secours aux Enfants à la demande du gouvernement français, les jeunes de Buchenwald réapprennent à vivre, à rire, à pleurer et à redevenir humains. Ils refont confiance aux adultes et à l’humanité en général. Une tâche loin d’être facile. Il y en a des barrières protectrices à détruire.

Dominique Missika, avec des récits de ceux qui ont vécu l’expérience, a écrit et illustré « Les enfants de Buchenwald ». Cette bande dessinée est remplie de résilience et d’espoir, nous rappelant que, même dans les moments les plus sombres, la flamme de l’humanité, bien que vacillante et ténue, ne s’éteint jamais.

Arnaud Delalande, Laurent Bidot, d’après Joseph Weismann, Après la rafle, une histoire vraie. Les Arènes BD

Dominique Missika, Anaïs Depommier, Les enfants de Buchenwald. Steinkis

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