Éléments de langage : du rififi dans la francophonie

                                                                


Par Robert Laplante

On ne peut pas pire que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) fait beaucoup parler d’elle dans les chaumières québécoises. Ni en bien ni en mal. Comme si elle n’existait pas. Idem du côté de nos médias où elle passe la plupart du temps sous leurs radars. Sauf pour un court laps de temps, entre 2014 et 2018 plus précisément, quand Michaëlle Jean était sa secrétaire générale. Alors là à ce moment on peut dire que l’OIF a eu droit à toute une exposition médiatique ici.

On se rappelle que Paul Arcand, monstre sacré de notre bande FM, diffusait à satiété, et pour notre plus grand plaisir, ses incroyables explications sur les rénovations un tantinet coûteuses de son appartement de fonction parisien qui avait entre autres des problèmes d’eau chaude. Encore aujourd’hui, il rediffuse parfois.

Même chose pour Jean-René Dufort d’Infoman qui ne rate jamais une occasion de nous la rappeler à notre mémoire. L’ancienne gouverneure générale du Canada, la GG, comme il aimait la surnommer, a marqué notre imaginaire médiatique québécois et peut-être même plus que l’OIF elle-même.

Mais derrière cet amusant bruit de fond, parce qu’il faut en convenir, on rigolait bien quand on entendait parler d’elle, il reste que l’on connaît peu toutes les tempêtes qu’elle a dû affronter, toutes ses négociations pour concilier les intérêts divergents des membres de l’organisation, tous ses efforts pour maintenir la crédibilité d’une institution qui en avait désespérément besoin. L’espace de ces 4 années Michaëlle Jean est devenue la danseuse étoile d’un irrésistible ballet humoristique chaotique comme seule la politique peut en produire.

L’ancien journaliste québécois, militant des droits de l’homme et spécialiste en communication Bertin Leblanc a fait partie de sa garde rapprochée durant son séjour dans les officines du pouvoir francophone. Il a extrait de cette expérience une sympathique bande dessinée hilarante qui n’est pas sans rappeler le Quai d’Orsay d’Abel Lanzac et de Christophe Blain


                                                   


 dont le grand Bertrand Tavernier en avait tiré un désopilant film qui me fait encore rigoler aujourd’hui.


                                                  


Excellent conteur, Leblanc nous guide dans les coulisses d’une organisation, légèrement dysfonctionnelle, déchirée par les intérêts particuliers de ses membres incapables de s’en tenir à une politique commune. À l’intérieur de cette boîte de Pandore, nous retrouvons la pauvre secrétaire générale qui tente tant bien que mal de survivre à une mer remplie de requins. Le pire, c’est peut-être le Président de la République française Emmanuel Macron, qui rêve de lui «dévisser la tête». Macron prêt à tout pour la dégommer et nommer à sa place la Rwandaise Louise Mushikiwabo, issue d’un pays qui ne respecte pas les droits de la personne.

Résumé ainsi la bande dessinée à l’air de tout sauf d’une comédie. Pourtant, Éléments de langage est irrésistiblement drôle. Je n’ai pas pu m’empêcher de rigoler devant cet absurde ballet comique où les couteaux volent bas, les trahisons sont monnaie courante et les aspects les plus douteux des relations diplomatiques sont mis au jour.

Avec ses personnages truculents, quelques fois souffrant d’un enthousiasme un peu trop naïf, son regard acidulé sur les coulisses d’une organisation internationale, sa narration tout en rythme et le trait dynamique au léger parfum de la caricature Éléments de langage est un témoignage un tantinet ubuesque d’une organisation internationale un peu coincée incapable d’agir efficacement et concrètement.

Mais au-delà de l’humour, il y a aussi de l’espoir dans cette bédé. Parce que Bertin Leblanc croit en elle, crois au rôle magnifique qu’elle pourrait jouer si elle pouvait arrêter de servir aux intérêts politiques de ses membres. Et si elle pouvait vraiment devenir l’instrument international dont rêvaient ses créateurs?

Et puis il y a le rôle de Michaëlle Jean qu’il met en lumière. Une fonction très loin de la caricature galvaudée par les Paul Arcand, Jean-René Dufort et autres humoristes connus. Même s’il faut l’avouer, quelques scènes de la bande dessinée nous la montre sous un jour grandiloquent, presque aristocratique, pas très loin de cette sympathique exagération médiatique.

Une belle petite découverte.

Vous pourrez en discuter avec Bertin Leblanc au salon du livre de Montréal les 26 et 27 novembre.

Bertin Leblanc, Paul Gros, Éléments de langage, cacophonie en francophonie, la boîte à bulles.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Les bandes dessinées de l’année 2023

Du grand Ken Follett

Les coups de coeur de l’année 2023