Jean Giraud alias Moebius : L’homme pluriel.

 

                                           


Par Robert Laplante

Oubliez tout ce que j’ai dit depuis le début de l’année. Je connais enfin la bande dessinée de l’année. Et le plus ironique, c’est une monographie absolument passionnante sur un des grands créateurs des p’tits Mickey : Jean Giraud/Moebius. Bref tout ça pour dire que la très complète biographie que lui a concocté le journaliste Christophe Quillien est tout simplement incontournable.

Les bourdonnements circulaient déjà depuis quelques mois, le Jean Giraud alias Moebius était LA biographie à lire sur ce bédéiste caméléon aux multiples identités. Même Numa Sadoul, auteur de l’essentielle entrevue fleuve Docteur Moebius et Mister Gir avait écrit tout le bien qu’il en pensait sur le réseau X.

Je dois reconnaître que la rumeur était vraie. Jean Giraud alias Moebius est une biographie fabuleuse, qu’on lit d’une traite, sans s’arrêter. Dès que j’ai plongé, je me suis senti happé par ce paradoxe vivant, cet insaisissable créateur qui n’apparaissait jamais là où on l’attendait et qui refusait la redondance. N’eût été mon séjour de quelques jours à Québec, je l’aurais sans doute terminé en trois jours. Mais bon, je n’avais pas envie, par manque de place, de la traîner dans mes bagages et surtout de faire faux bond à la si belle vieille capitale qui l’aurait peut-être mal pris.

                        


Quillien cerne parfaitement l’indéfinissable artiste. Et croyez-moi ce n’est pas facile parce qu’il se livrait peu l’ami Giraud. Bien sûr, il accordait des entrevues, il m’en a même donné une. Mais derrière sa gentillesse, sa bienveillance, l’homme était distant, délicat à cerner, cultivait le mystère. Comme s’il se méfiait des journalistes et qu’il édifiait autour de lui des barrières infranchissables.

Il était d’autant plus difficile à définir qu’il changeait continuellement, au gré des époques et des entretiens, ses réponses. On répandait déjà que le créateur de Blueberry réinventait constamment son trait et sa narration, mais on savait moins qu’il aimait aussi réarranger sa propre histoire, affirmant ici et là des trucs qu’il contredisait plusieurs années après. Giraud, une éternelle création évolutive ? Pourquoi pas.

                                


À l’aide des témoignages des gens qui l’ont côtoyé de près ou de loin, des entrevues qu’il a données pour différents médias écrits et électroniques et des livres qui lui ont été consacrés, Quillien propose une biographie hypnotique rythmée et musicale qui nous fait pénétrer dans les coulisses d’un artiste qui a transformé la vie de plus d’un lecteur. Un interprète qui a propulsé la bande dessinée vers de nouvelles frontières inimaginables à l’époque.

De ses premiers travaux à sa collaboration sur Dune, Tron et Alien, en passant par Blueberry, le Garage hermétique, le Surfeur d’argent, les années Pilote, Métal Hurlant, ses séjours au Mexique, aux États-Unis, ses amitiés avec Jijé, Jodorowsky, Jean-Michel Charlier, son adhésion à certaines groupes mystiques un peu sectaires aux leaders douteux et à certaines conceptions alimentaires c’est un portrait lucide et sans complaisance que tisse le journaliste. Personnalité ambiguë et complexe, Giraud est tout aussi surprenant, énigmatique ainsi que son trait qui n’arrête pas de se transformer. Manifestement, il est impossible de l’emprisonner dans une ou deux cases.


                            


Superbement écrit par Quillien, Jean Giraud devient sous sa plume un être vivant, fait de chair, de sang, de désirs, de frustrations, de courage, de lâchetés, de contradictions, d’ombre et de lumière. Un être tout ce qu’il y a de plus humain, loin de cette vedette étoilée de la bande dessinée que les admirateurs, les exégètes et les journalistes ont fini par figer dans ce rôle ingrat. Comme, si derrière cette iconique image il n’existait pas un homme complexe, indécis, angoissé qui tentait, tout comme Mike Steve Donovan Blueberry, de contrôler, en autant que faire se peut, sa vie.

                                


Une histoire qui m’a coupé le souffle tout comme l’autobiographie de Druillet que j’avais lu au début de l’été.

Christophe Quillien, Jean Giraud alias Moebius, Seuil.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Les bandes dessinées de l’année 2023

Les coups de coeur de l’année 2023