Gonzo : A la poursuite d’Hunter S Thompson

 

                                                 


Par Robert Laplante

Parmi les journalistes les plus influents de la seconde partie du XXe siècle, on oublie trop souvent Hunter S. Thompson.

Pourtant, le : auteur de Fear and Loathing in Las Vegas : a Savage Journey to the Heart of the American Dream, Las Vegas parano en français, a totalement chamboulé l’essence de l’écriture journalistique.

                                     


Dans ses articles et ses reportages, le fondateur du journalisme gonzo a détruit le sacro-saint autel de l’objectivité pour le remplacer par celui de l’ultrasubjectivité. Désormais le scribe n’était plus un témoin, mais un acteur de la réalité qui se jouait devant lui. Sa personnalité et ses impressions devenaient le cœur de ce qu’il racontait.

J’ai repéré son travail, fin vingtaine, grâce à Tom Wolfe et aux journalistes anglo-saxons spécialisés en pop culture. Le bédéiste français Morgan Navarro, lui, l’a connu beaucoup plus tôt que moi. Il était adolescent quand son ami Thadd lui fit découvrir Thompson et ses collègues de l’Amérique alternative.

                                          


En 2022, après avoir accompagné, avec 5 autres bédéistes, les candidats à la campagne présidentielle française, Navarro se lance, à la suggestion de Mathieu Sapin, sur les traces de l’influent journaliste qui s’était suicidé au Colorado en 2005. Un reportage BD sur les lieux qui l’ont marqué et sur les gens qui l’ont connu. Tout comme il s’était immergé dans les coulisses d’une élection, Il allait maintenant partir à la recherche de l’homme derrière le mythe Hunter S. Thompson.

                                       


Avec son collègue Jack Souvant, reporter et producteur radio, notamment chez France Inter, le bédéiste poursuit un fantôme sur 152 pages. Un énigmatique spectre qui ne parle plus et dont les rares amis encore vivants sont incapables, où à peine, de le définir.

                                        


Rapidement, sa quête se transforme en un immense reportage gonzo où Navarro se raconte. Au fil des pages il distille ses souvenirs, ses angoisses, ses réflexions et son étonnement face à une Amérique de la frontière, sauvage et indomptable, en train de devenir tout ce que l’auteur de Hell’s Angels : The Strange and Terrible Saga of the Outlaw Motorcycle Gangs détestait.

« Road bd, » comme le dit l’expression pas encore consacrée, Gonzo voyage dans l’Amérique de Las Vegas parano, est un bel hommage à l’esprit « thompsonien ». Une bande dessinée qui sent bon le bitume et l’Amérique mythique des années 60 et 70. Celle des bleds paumés, des cols bleus qui triment fort, des laissés-pour-compte du songe américain et du rock and roll salvateur. Cette Amérique démesurée où la poésie du grandiose côtoie celle des milieux crades. Cette Amérique, mirage aux récifs escarpés où se disloquent les rêves de ceux qui y croient encore ou… trop.

                                  


Tout au long de sa trop courte bédé, Navarro nous trimballe d’un bord à l’autre de ce miroir aux alouettes américain, aux paysages aussi somptueux que désolants, à la découverte non pas d’un écrivain fantomatique, mais d’un bédéiste en quête de réponses existentielles.

Avec des personnages hauts en couleur, Gonzo voyage dans l’Amérique de Las Vegas parano à les parfums de la bande dessinée initiatique. Un récit hypnotique, qu’on lit sans chercher à la comprendre et qu’on aime sans savoir pourquoi. Comme si nous étions avec eux, à vibrer aux rythmes d’une Amérique mythifiée et indéfinissable, de ses odeurs, de ses mélodies et de ses battements de cœur.

Un hommage fascinant à l’image des écrits de Thompson.

Triste nouvelle cette semaine. On a appris la mort de Bernie Mireault un de nos grands bédéistes. Créateur essentiel dans notre histoire du 9e art, le pionnier de la contre-culture d’ici n’aura malheureusement jamais connu la reconnaissance qu’il méritait. Toute une perte.

Salut Bernie et merci pour tout.

Morgan Navarro, Gonzo, voyage dans l’Amérique de Las Vegas parano, Dargaud.

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