Le prince des oiseaux de haut vol. Dessine-moi une bédé.

 

                                                          


Par Robert Laplante

On ne compte plus les artistes iconiques qui ont été inspirés par Paris, Londres, New York ou d’autres grandes villes. De quoi nous rendre, nous Québécois, jaloux.

Jaloux ? En fait, pas vraiment. Parce que, nous aussi, nos villes ont été source d’inspiration. Peut-être pas autant que la grosse pomme ou la Ville lumière, mais il y en a eu quand même. On pense à Leonard Cohen, à Pink Floyd ou à Antoine de Saint-Exupéry…

Antoine de Saint-Exupéry ? Eh oui, c’est lors de son séjour québécois, au printemps 1942, que serait né, en partie du moins, son fameux Petit Prince.


                           


Vous le saviez sans doute, mais pas moi. Il faut dire, à ma décharge, que je ne suis pas un connaisseur de l’aviateur écrivain, même si j’ai beaucoup apprécié la bande dessinée que lui avait consacrée Hugo Pratt. Tout comme je ne prise que modestement son conte. À vrai dire, c’est l’excellente série de TV5, 39-45 en sol canadien, qui m’avait fait découvrir cette histoire l’année dernière.

Mais ça, manifestement, ce n’était pas le cas de Philippe Girard, qui vient d’en faire une fascinante bande dessinée Le prince des oiseaux de haut vol.

                                  


Le 29 avril 1942, Antoine de Saint-Exupéry arrive à Montréal, la métropole du Québec. Exilé à New York, depuis sa démobilisation, Saint-Ex se sent un peu perdu sur la terre ferme et encore plus en Amérique. C’est qu’il n’en peut plus de son inactivité. Il a envie de retourner en Europe. Il a besoin de défendre sa France, occupée militairement depuis l’armistice de juin 1940.

Peut-être pour tromper l’ennui qui le ronge, pour encourager les Canadiens-français à voler au secours de la mère patrie ou pour renouer avec son ami Charles de Koninck, doyen de la Faculté de philosophie de l’Université Laval, l’auteur de Vol de nuit accepte de faire une tournée promotionnelle dans cette terre francophone, au nord de l’Amérique du Nord.

                                    


Malheureusement pour l’écrivain, le Canada, engagé dans un conflit avec l’Allemagne, impose la fermeture des bureaux de l’ambassade française pendant son séjour. Cela s’avère être un véritable désastre pour Saint-Exupéry, car il a besoin d’un visa valide pour rentrer aux États-Unis. Toutefois, comment obtenir un visa lorsque les services consulaires sont inaccessibles ?

Pendant cinq longues semaines, de mai à juin, le père de Long Courrier sera retenu ici, entouré de ses souvenirs, de son désespoir et de sa solitude.

C’est durant ce passage à vide que naîtront, inconsciemment, les premières manifestations de son Petit Prince. Grâce au jeune Thomas de Koninck, fils de son ami Charles, un garçon allumé qui lui pose des questions.

                          


Je ne m’en suis jamais caché, j’adore les BD de Philippe Girard, un auteur dont la renommée est insuffisante. Dans ma liste des bédéistes préférés, ceux dont j’attends constamment avec impatience leurs nouvelles parutions, le résident de Québec occupe une des premières positions.

Phillipe Girard est passé maître dans l’art de raconter les petits instants du quotidien. Des petits moments qui, mis bout à bout, forment la grande courtepointe de l’histoire. Cette qualité lui a toujours permis de donner un visage, une humanité, une chaleur et une quotidienneté à l’histoire. Ce que les monographies et les analyses historiques, plus froides et plus désincarnées, ne sont pas toujours pas capables de faire. Il l’avait fait pour Leonard Cohen, pour Gérard Bull et pour la partie de pêche, sur un lac des Laurentides, de Churchill et de Roosevelt le 19 août 1943. Il le fait maintenant pour Saint-Exupéry et son Petit Prince.

J’aime sa maturité et sa maîtrise narrative, autant scénaristique que graphique. Tout comme j’aime son désir de se mettre constamment en danger, de se réinventer d’un album à l’autre. Girard continue de m’étonner et peut-être même davantage dans ce nouvel opus que dans les précédents.

                                 


Pourquoi ? Je ne peux pas l’expliquer. Cependant, j’ai senti, à travers les mots de sa nouvelle bande dessinée, une envoûtante symphonie mélancolique teintée de symbolisme et de poésie. Le bédéiste s’est plutôt laissé inspirer par ses propres mots. Il nous présente son Saint-Ex, l’illustre auteur de « Le Petit Prince », comme s’il le redécouvrait sous un jour nouveau, en utilisant des couleurs inédites pour le peindre. C’est comme s’il lui insufflait une nouvelle vie, une respiration fraîche, après que les analyses, les spécialistes, l’affection du public et la mémoire collective l’aient peut-être un peu étouffé. Pas facile d’être une icône.

Mais il n’y a pas que ses mots qui m’ont séduit, il y a aussi sa mise en page. Refusant de tabler sur la structure traditionnelle du récit bd et sa succession linéaire de cases, Girard propose une lecture dynamique où le sens de la lecture évolue au gré des pérégrinations de sa propre imagination et des pensées de l’auteur de Terre des hommes. Comme si Saint-Exupéry, lui-même, refusait de se laisser enfermer dans nos ridicules conventions de lecture.

Si la stratégie est inspirante et riche, il faut aussi avouer qu’à l’occasion, elle souffre un peu de l’objet livre. Quelques fois les côtés intérieurs des doubles pages, notamment celle des pages 42 et 43, sont un peu écrasés par la présence de la reliure. Avec le résultat que certains éléments sont plus difficiles à décortiquer et perdent en efficacité. Dommage parce que la richesse de Girard c’est aussi la présence de ces petits détails. J’aurais bien aimé voir ses doubles pages en version électronique. Histoire de mieux les goûter encore. Une prochaine fois peut-être.

N’empêche, il ne faut surtout pas se priver de ce récit initiatique. Aussi initiatique que Le Petit Prince lui-même.

Philippe Girard, Le prince des oiseaux de haut vol, La pastèque.

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