Quai Ouest : Les surprenantes 4 mains de la déchéance ordinaire.

                                                         


Par Robert Laplante

Certains endroits sont plus étranges que d’autres pour discuter d’un scénario. Par exemple, un cimetière. Personne ne s’y attendrait. Pourtant, c’est dans la nécropole Montmartre qu’Alexandre et Mathieu Vanasse ont jeté les premières lignes de ce qui allait devenir Quai Ouest, un des trois titres mis en nomination pour le prix Réal-Fillion, qui sera décerné par Québec BD le 11 avril prochain.

« C’est un peu par hasard, si on s’en est parlé là » explique Alexandre Vanasse. « Nous étions à Paris, pour travailler sur un scénario. Mais c’était impossible de le faire dans les cafés. Trop bruyant. »

Si les cafés sont trop bruyants, ce n’est pas le cas des cimetières, de véritables tombes. C’est vrai, même si celui du 18e arrondissement, où repose Berlioz, Bretécher, Chopin,

                      


 Dalida, France Gall, 

                                       


Guitry, Truffaut, Zola et autres Fred Chinchin, 

                                


constitue une destination incontournable pour les touristes et les amoureux de la France. Le Père-Lachaise, en revanche, attire encore davantage les visiteurs, notamment grâce à Jim Morrison.

« On y a donc écrit les premières lignes de ce qui devait être un film. ». Mais, comme le projet cinématographique n’a pas abouti, le duo a décidé d’en faire une bande dessinée.

Si la suite semblait logique de prime abord, sa transposition en bédé a été moins facile, qu’ils ne l’imaginaient au début. « Nous n’en avions jamais fait. Il a fallu apprendre à penser en termes d’image. » Une chance pour eux, ils ont pu compter, entre autres, sur la présence du dessinateur Alexandre-Paul Samak. « Il nous a aidés à rendre notre scénario plus concret. C’est en nous parlant de ses défis graphiques qu’il nous a fait comprendre que nous n’étions pas assez précis dans nos descriptions. Vous savez, on ne nommait que sommairement les émotions. Alors qu’il avait besoin de plus d’indications pour bien représenter ce que nous avions imaginé. »

Si les deux auteurs en étaient à leur première bédé, ils n’en étaient toutefois pas à leur première collaboration. En fait, ils écrivent à 4 mains depuis plus d’une décennie. Une méthode qu’ils apprécient beaucoup. « Ça permet d’avoir des personnages différents de ce qu’ils auraient été, si nous les avions créés séparément » souligne Mathieu.

La stratégie est intéressante, oui, mais elle demande, quand même, beaucoup de diplomatie et d’humilité. « C’est certain que la négociation est la base de notre collaboration », soutient Alexandre. « Travailler à deux, ça peut faire peur. Il faut trouver son style » et s’aménager des espaces de négociation, serions-nous tentés de compléter. « Nous, ça fait 12 ans qu’on travaille ensemble et ça va bien. Mais il y a quelques petites frictions de temps en temps. L’important c’est d’être à l’écoute de l’autre. On est très différents l’un de l’autre, mais on se complète très bien. On a chacun nos forces et elles nous permettent d’arpenter des endroits que nous n’aurions, peut-être, pas visités individuellement. »

Des endroits comme le Quai Ouest, où Antoine, anciennement incarcéré et maintenant gérant d’un restaurant dans le quartier gay de Montréal, connaît une chute vertigineuse. En effet, l’établissement est la propriété d’un groupe de motards criminels. Des « bikers » à qui il doit de l’argent, beaucoup trop. Un univers que le jeune Alexandre a scruté de près pendant les années folles précédant l’an 2000.

« Au début des années 2000, j’étais imprimeur et infographiste sur la rue Atateken, dans le quartier gay. De fil en aiguille, j’ai commencé à fréquenter les bars et les « after hours » et à consommer de la drogue. « Des démons qu’il a vaincus aujourd’hui. « Attention, Quai ouest ce n’est pas mon histoire » s’empresse de rajouter l’auteur, reconnaissant du même souffle que ses expériences l’ont quand même inspiré.

C’est sans doute ce qui explique pourquoi son scénario semble si authentique et ses personnages si humains, ni tout à fait noirs, ni tout à fait blancs, mais résolument gris. « C’est certain, qu’en se fiant sur des choses qu’on a vécues et des individus qu’on a croisés, le regard devient plus humain, plus nuancé », constate Mathieu. « Ni Mathieu ni moi n’aimons les gens parfaits. Les gens parfaits cachent des choses d’habitude », renchérit Alexandre.

S’ils n’ont pas fermé la porte à une deuxième bédé, les deux cousins germains veulent se consacrer, pour l’instant, à un roman adulte. Un genre qu’ils n’ont pas encore touché, après l’écriture de quelques romans jeunesse et adolescent.

Alors, si on les croise bientôt au Père-Lachaise, c’est qu’ils seront peut-être en train de mettre sur papier leurs prochaines idées de bandes dessinées.

Alexandre Paul Samak, Alexandre Vanasse, Mathieu Vanasse, Quai Ouest Station T

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