La dernière balle du pistolero
Par Robert Laplante
Il fallait beaucoup de courage, voire une pointe d’insouciance, à Romain Renard pour s’engager dans une nouvelle version de « Comanche », cette célèbre série créée par Greg et Hermann, qui ont marqué plusieurs générations de lecteurs. Surtout quand on sait que, parfois, les admirateurs des séries phares peuvent être assez agressifs envers leurs réinterprétations. Malgré cela, il n’a pas hésité une seconde avant de plonger tête baissée dans ce projet passionnant : « Revoir Comanche ». Pendant sa visite au Festival Québec bd, nous avons eu l’opportunité de discuter avec lui.
« Heureusement j’étais très naïf et très candide et je n’avais aucune conscience des attentes des lecteurs » explique-t-il en riant. « Dans ma tête, je n’écrivais pas une suite de Comanche mais un album personnel, » qui reflétait ses préoccupations.
C’est environ deux ou trois semaines avant la parution de l’album qu’un ancien élève de l’Institut Saint-Luc de Bruxelles a réalisé l’ampleur du travail nécessaire pour un nouvel album. En effet, c’est à ce moment-là que Le Lombard a commencé à publier des images, la couverture et le résumé du livre.
Ces amuse-gueules, certes modestes, ont suscité l’ire de certains puristes trop émotifs. : « c’était mieux avant », « encore quelqu’un qui veut se faire du fric sur le dos d’un grand auteur, » ou « ce n’est pas du Hermann, » et tutti quanti « À partir du moment où j’ai pris connaissance de ces critiques, j’ai commencé à craindre un tombereau de reproches. Et là, je me suis demandé dans quoi j’avais mis les pieds. »
Cependant, les réactions positives font taire rapidement ces admirateurs, prisonniers de leur nostalgie, qui refusent toute entorse aux héros de leur jeunesse. Cela s’explique par le fait que Revoir Comanche est déjà considéré comme une bande dessinée marquante de la décennie en cours.
« Bien sûr, j’avais lu Comanche dans ma jeunesse. Mais j’ai connu Hermann avec Jeremiah. C’est par Jeremiah que je suis venu à Comanche. » Ce qui ne l’a toutefois pas empêché de relir la série, avant l’écriture du scénario. Histoire de bien se la remettre dans sa mémoire. « Une fois lue, je l’ai mise de côté. Je voulais que les histoires de Comanche restent loin, comme une légende » imprécise et délavée, enrobée par les brumes de notre mémoire et d’un passé presque oublié.
Western crépusculaire, aux notes lentes et langoureuses des mélodies de Daniel Lanois dans les albums « Shine » et Red Dead Redemption II, et de Robbie Robertson, période How the Become Clairvoyant, Revoir Comanche parle de la fin du monde. « D’un monde ! Pas du monde. Celui de Red Dust et des autres personnages qui ont connu l’ouest mythique. » Ce Red Dust, à la dégaine de l’écrivain américain Jim Harrison, rattrapé et dépassé par la modernité et la vieillesse, devenu vestige d’un monde qui s’est éteint. Comme le tristement célèbre pistolero Jed Dexter, devenu père et fermier sans histoire, qui aspire à la paix, dans Le doigt du Diable.
« On sera tous témoins de la fin de notre monde. C’est la vie. J’avais envie de parler de cet homme, qui doit retourner dans le ranch, où il a vécu. Incapable de monter à cheval ou de conduire une voiture, il a besoin de l’aide d’une femme pour le ramener vers son passé. » Un passé qui s’est dissous dans le temps et la poussière, Un passé qui a cédé sa place à l’image légendaire propagée par les westerns cinématographiques.
« Le visionnement du film Big Trail par Red Dust est le moment charnière du livre. C’est le moment où, lui, qui a réellement connu l’âge de la frontière, se rend compte que ce qu’il a vécu, est devenu fiction et projeté sur une toile. J’ai pris beaucoup de plaisir à le confronter à John Wayne, son double cinématographique. » Un John Wayne, à peine 23 ans, qui devient sous la direction de Raoul Walsh un Red Dust archétypal. « C’est ça qui m’intéressait. Parler d’une personne qui a été, qui est et ce qu’on retiendra d’elle. » Une confrontation entre la réalité et le mythe et notre préférence à choisir ce dernier.
Ces photographies des Premières Nations, prises par Edward S Curtis au début du XXe siècle, sont en fait des mises en scène. Il les a représentées comme elles étaient il y a 30 ou 40 ans, avant que leur mode de vie ne disparaisse. Il accepte de se mettre en scène, car il veut laisser une marque, même si elle est trompeuse.
Revoir Comanche est une véritable expérience de bande dessinée. Le créateur de Melvile imprègne cette œuvre d’une mélancolie délicate à travers ses dessins, ses mots et ses noirs et blancs vibrants et éloquents. « C’est un faux noir et blanc. Si on observe bien, on remarque des petites pointes subtiles de jaune, de bleu et de vert, qui varient selon le déroulement de l’histoire. Par exemple, au début, on est plus dans du noir et blanc avec un petit gris vert, puis, tranquillement, les petites pointes se réchauffent et s’assombrissent. »
Romain Renard offre un western captivant grâce à une mise en scène et un scénario remarquablement efficaces. Peut-être une influence de son travail comme scénariste pour la série télévisée Melvile. « J’ai beaucoup appris de ces expériences, notamment sur la structure et la tension. J’ai développé durant 4 ans une série télé, qui est en train d’être tournée. On me revenait constamment avec des demandes de changements scénaristiques. J’ai appris à couper dans le gras, à aller directement à l’os. Écrire c’est constamment réécrire. »
Avant de regarder la série télévisée ou l’adaptation animée de « Melville », vous pouvez vous tourner vers une nouvelle édition graphique de « The End, A Cold Winter » par Daniel Woodrell. « À l’origine, je ne voulais refaire que quelques dessins. Mais, quand je l’ai relu, j’ai décidé de la recommencer. » Tout un travail, qu’on espère pouvoir lire bientôt.
Romain Renard, d’après l’œuvre de Greg et Hermann, Revoir Comanche, Le Lombard.
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