Jean Dominic Leduc, l’enquêteur qui voulait retrouver Pierre Fournier.


 

Par Robert Laplante

Jusqu’à dimanche, Montréal vibrera au rythme de la bande dessinée. Celle d’ailleurs, oui, mais aussi la nôtre. Une bonne façon de célébrer toute la richesse du 9art québécois et de ses créateurs. Parmi tous les bédéistes présents, il y aura Pierre Fournier, mythique créateur du Capitaine Kébec. En réalité, il ne se trouve plus parmi nous depuis le 11 novembre 2022. Toutefois, son esprit, ses paroles, ses images et ses illustrations continuent de vivre à travers l’ouvrage remarquable que Jean-Dominic Leduc lui a dédié : « Pierre Fournier, le capitaine Kébec ». Une biographie inspirante sur un créateur inclassable et un polaroid fascinant sur le bouillonnement du milieu de la BD québécoise, portée par l’effervescence d’une époque où la culture québécoise s’appropriait ses récits et ses façons de les raconter.

                                  


« Je vois beaucoup plus mon livre comme le catalogue d’une exposition que comme une biographie » explique tout de go Jean Dominic Leduc en surveillant, du coin de l’œil, Mucho, le sympathique chien-mascotte du Café canin Alice de la rue Masson, qui gambade entre les tables. « J’adore les catalogues d’exposition. Ils nous permettent d’entrer dans l’univers des créateurs. Je les trouve beaux et sensuels. C’est ce que je voulais faire avec mon livre, parce que Pierre le méritait.

                                         


Personnage insaisissable, Pierre Fournier a, à peu près, tout fait dans le milieu de la bande dessinée, de dessinateur à scénariste, en passant par gestionnaire, organisateur, promoteur et découvreur de nouveau talent. « Je crois qu’il refusait d’être dans la lumière. À mon avis, la nature de sa collaboration avec Réal Godbout, où il jetait des idées pour Michel Risque et Red Ketchup, était parfaite pour lui. Elle lui permettait de ne pas être le « front man. »

                                       


           Crédit photo : Gilles Desjardins

Une attitude un peu surprenante n’est-ce pas. Pas vraiment, selon Jean-Dominic Leduc. « Le succès est arrivé tôt dans sa carrière, j’ai l’impression que ça lui a donné le vertige. » Comme si le poids de la réussite du premier Captaine Kébec lui avait fait peur et qu’il s’inquiétait de ne pas pouvoir le reproduire. « Je crois que c’est en partie ce qui explique pourquoi il n’y a pas eu de second numéro du Capitaine. Pourtant il avait fait le découpage au complet. Bien sûr Jacques Hurtubise invoque plutôt des raisons budgétaires, etc., mais je pense que cette pression du succès y est pour quelque chose. »

S’il était moins à l’aise à l’avant-scène, ce n’était pas le cas pour les coulisses, un endroit où il excellait. « C’était un organisateur et un gestionnaire hors pair. Il avait une vision. Avec l’Hydrocéphale il a été en France et aux États-Unis pour observer le marché. » Tout en s’impliquant activement auprès des nouvelles générations de bédéistes et « en continuant à dessiner frénétiquement. La grande majorité de ses travaux n’ont jamais été publiés », dont plusieurs qui, selon le biographe, valaient le détour. « J’ai mis la main sur la bible de ses personnages et sur de nombreux projets qu’il voulait faire et qu’il mettait sur 3 ou 4 feuilles. C’est incroyable, on aurait tous voulu lire les résultats finaux » s’enthousiasme-t-il.

                                         


                                     

Un million de tâches pour un homme dont on ne connaît pas grand-chose en fait. Parce qu’il était insaisissable, il était encore plus secret. « Il ne parlait jamais de ses projets. Ni à sa conjointe ni à ses plus proches collaborateurs. Quand je leur en parlais, ils n’en avaient aucun souvenir ou n’en avaient jamais entendu parler. » De quoi compliquer son travail de biographe.

Mais pas autant que la maladie de corps de Lewy, une maladie neurodégénérative qui entraîne un déclin cognitif, des hallucinations et des symptômes moteurs similaires à la maladie de Parkinson, dont il était atteint. Une maladie qui l’a empêché de répondre à ses questions. « Pendant des mois, je l’ai visité aux deux jours. Il me reconnaissait, mais il était dans un stade avancé de la maladie. Il était dans l’errance, dans la démence, à peine capable de parler. Un médecin m’a dit que ceux qui en souffraient retrouvaient à un moment donné leur lucidité. Un signe de l’imminence de la mort. C’est ce qui lui est arrivé. Pendant le mois qui a suivi le retour de son esprit, j’ai été le voir quotidiennement. J’amenais des photos de sa jeunesse. Il les regardait et là, la mémoire lui revenait et on discutait. En tout j’ai pu lui poser une question et sa réponse a duré 4 minutes. C’était ça, sa collaboration au livre. »

                                               


Une chance, le bédéiste lui avait donné accès à toutes ses archives. 50 ans d’archives pêle-mêle, sans classement. « Un véritable capharnaüm cosmique, rigole-t-il. Il conservait tout. » Un immense jeu de piste où l’enquêteur Leduc tentait de saisir l’insaisissable « Il m’a habité pendant toute la période où j’ai classé ses documents. À force de le côtoyer, par l’intermédiaire de ses archives et de ses correspondances, j’ai fini par comprendre sa logique. » C’est d’ailleurs dans ses nombreuses lettres, donc celle avec le mythique poète Claude Péloquin, qui a joué un rôle important dans sa vie, que la personnalité du bédéiste s’est dévoilée le plus.

                                        

 crédit photo : Gilles Desjardins

Si on peut regretter que Pierre Fournier, fabuleux conteur toujours en manque d’anecdotes, n’ait pu répondre aux questions du biographe, l’auteur a fait tout son possible pour lui laisser la parole. « J’ai construit le bouquin de façon à ce qu’on entende sa voix. Toutes les informations que j’avance sont corroborées par ses citations. Je devais m’effacer et lui laisser toute la place. C’est son livre. Si un inconnu, qui ne le connaît pas, sent sa présence dans les pages du livre, c’est que j’ai réussi mon travail. »

Véritable travail d’archéologie, le projet naît dans la foulée des entrevues pour le livre Les années Croc, coécrit avec Michel Viau. « Pour la recherche du bouquin, j’ai parlé plusieurs fois à Pierre. Au fil du temps on est devenus amis. En 2015 il m’a fait part de son désir de travailler sur une intégrale du Capitaine Kébec. Un livre d’entretiens où il se serait confié et où on aurait fouillé dans ses archives. »

Mais voilà, la pandémie arrive et par la suite le terrible diagnostic de sa maladie. « Au début de février 2022, il m’a convoqué dans sa cuisine. Il m’a confié la mission de faire le livre. Très affaibli, il m’a fait faire le tour de ses archives. » Des piles et des piles de boîtes dans son atelier et dans sa cave. Le lendemain, il partait pour l’hôpital pour ne plus revenir chez lui

« Ce livre est une promesse que j’ai faite à un ami » explique Jean Dominic Leduc après un émotif moment de silence. Je pense qu’il serait content… enfin je l’espère. Ses proches, eux, le sont. Pierre m’a fait confiance. Il savait que j’y arriverais. C’est pour ça qu’il me l’a demandé. Au CHSLD, quand il a retrouvé ses esprits, il m’a remercié », conclut-il la voix défaillante.

On ne peut rêver de plus belle approbation.

Jean-Dominic Leduc, Pierre Fournier, le capitaine Kébec, La Pastèque. 

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