L’ombre sur Innsmouth : Dans la spirale de Lovecraft
Par Robert Laplante
J’ai fait connaissance avec Lovecraft pour la première fois pendant mon adolescence, lorsque j’ai lu « Le cauchemar d’Innsmouth ». Cette introduction m’a été inspirée par Donald Wandrei, un auteur qui avait déjà capté mon attention grâce à son roman « L’œil et le doigt ».
Bon, pour être franc, je ne me souviens plus si c’était Le cauchemar d’Innsmouth. Par contre, je sais avec certitude que le recueil La couleur tombée du ciel, dans lequel se trouve justement cette nouvelle, fut mon introduction à cet univers. Tout comme je sais, qu’elle avait beaucoup marqué l’adolescent impressionnable que j’étais. Encore aujourd’hui, elle compte parmi mes préférées et continue de m’habiter, elle, et cette mystérieuse famille Marsh.
Voyage au cœur d’Innsmouth.
François Baranger semble lui aussi être captivé par ses propres écrits, au point que je suis tenté de dire qu’il y a là un phénomène quasi magique. Depuis quelques années, cet artiste et auteur s’est mis à illustrer certaines de ses histoires les plus célèbres, comme L’appel de Cthulhu en 2017, Les montagnes hallucinées en 2019 et Le cauchemar d’Innsmouth, renommé L’ombre sur Innsmouth pour se rapprocher du titre original, il y a peu de temps. Une édition remarquable, avec des images qui transmettent l’angoisse, la crainte et l’atmosphère suffocante des écrits de Lovecraft.
Bien que je ne sois pas particulièrement enthousiaste à l’idée des éditions illustrées de ces textes fondateurs, il y a une exception : l’édition du Dracula de Quesnel. J’ai souvent l’impression que les illustrations sont ajoutées de manière artificielle, comme un Polaroid détaché de l’esprit des mots.
Contrairement à d’autres illustrations qui semblent détachées du texte, les illustrations de Baranger donnent vie aux mots de Lovecraft en les intégrant dans un décor brumeux et mystérieux, rempli de menaces et de non-dits qui renforcent l’atmosphère sombre de l’écriture de Lovecraft. Des illustrations hypnotiques, séduisantes comme le mal, qui évoquent la peur profonde, le moisi et l’odeur putride d’une ville abandonnée, que tout le monde craint dans la région de la Nouvelle-Angleterre.
J’avais beaucoup apprécié la version bédé de Breccia et de Go Tanabe. Cette nouvelle m’a procuré la même impression d’effroi et de folie que j’avais ressentie en découvrant, à l’adolescence, cet univers. Lovecraft a certainement trouvé en Baranger l’écrivain idéal pour mettre en mots ses cauchemars les plus sombres.
Le 10e cercle de l’Enfer.
En effet, qui a connu plus de cauchemars que Benito Mussolini, le père du fascisme italien et le dictateur qui a entraîné son pays dans l’horreur de la Seconde Guerre mondiale ?
La bande dessinée francophone européenne a consacré une attention particulière à Hitler, mais a peut-être sous-estimé l’impact de Mussolini en Italie. Pourtant plusieurs aspects restent encore à explorer.
Peut-être est-ce ce qui a motivé Chapuzet et Girard, qui, avec « La Dernière Nuit de Mussolini », ont voulu aborder le cheminement du Duce, ainsi que sa chute, qui a tant nourri les rêves de grandeur des Italiens, mais aussi leurs pires cauchemars.
La photographie du corps du dictateur italien Benito Mussolini, pendu avec sa maîtresse Clara Petacci, sur la place Loreto à Milan, est devenue si emblématique qu’elle a relégué au second plan les détails de son arrestation et de ses derniers instants.
Fuyant non seulement la résistance italienne, mais également les Alliés, le dictateur déchu tenta de gagner la Suisse. Il fut reconnu le 27 avril 1945, alors qu’il se faisait passer pour un soldat de la Luftwaffe. Confié à la 52e brigade Garibaldi, il est dissimulé dans une exploitation agricole en prévision de sa remise à la justice italienne pour qu’il y soit jugé.
Mais rien n’est jamais simple, on le sait. Le 28 avril, la faction radicale de la résistance, qui compte plusieurs communistes, décide d’éliminer cette personne et charge le « colonel Valerio » (Walter Audisio) et « Guido » (Aldo Lampredi) de la retrouver. Ils agiront rapidement. Deux jours avant le suicide d’Hitler, Mussolini et sa maîtresse sont exécutés. Leurs corps sont exposés pendant 24 heures sur la place Loreto, le même endroit où les miliciens de Salò avaient fusillé quinze partisans le 10 août 1944. La pendaison par les pieds est prévue plus tard dans la journée pour éviter que la foule ne profane les dépouilles.
Ce sont donc ces dernières heures fatidiques que racontent les deux bédéistes. Elles servent ainsi de prétexte pour retracer le parcours du Duce, depuis son enfance jusqu’à sa rencontre avec Valerio et Guido. Arrogant et fat, le dictateur, qui se croyait l’empereur romain, perd peu à peu de sa morgue. Le soldat allemand, quant à lui, prend son envol.
Depuis que le SS Otto Skorzeny et son unité l’ont secouru de sa prison de Gran Sasso, Mussolini est devenu la marionnette d’Hitler. Ses ambitions impériales s’évanouissent maintenant sur les rives du lac de Côme.
Si le scénario est intéressant, la bande dessinée, quant à elle, manque du petit grain de « oumf » qui en aurait fait une BD efficace et incontournable. Les nombreux allers-retours finissent par alourdir la lecture, alors que les illustrations manquent, quelques fois, de finesse et d’élégance.
En misant sur une bande dessinée biographique, les auteurs ont échoué à exploiter l’angoisse de ses derniers moments. Au lieu de voir un Mussolini désenchanté et terrifié, conscient de sa fin prochaine, on a un personnage dépourvu d’humanité, presque stéréotypé, sorti d’un manuel d’histoire glacial. Si Oliver Hirschbiegel a réussi à donner plus de vie à Hitler dans le film « La Chute », je pense que les deux auteurs auraient pu, eux aussi, offrir une version plus complexe de Mussolini, sans pour autant le rendre sympathique.
C’est peut-être seulement vers la fin, lorsque les auteurs évoquent le décès de Pasolini, l’auteur de « Salò ou les 120 journées de Sodome », que « La dernière nuit » révèle son véritable potentiel. Hélas, il était trop tard.
Bref, une bande dessinée honnête qui aurait pu être tellement plus que ce qu’elle est.
HP Lovecraft, François Baranger, L’ombre sur Innsmouth, Bragelonne.
Chapuzet, Girard, La dernière nuit de Mussolini, Glénat.
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