The Bookbinder’s Slaughter: Relier la peur.

 

                                                                         




                                                           

Par Robert Laplante

Certains lieux sont plus propices que d’autres pour concevoir une histoire d’horreur captivante. On pense aux bibliothèques anciennes et poussiéreuses, aux librairies empreintes d’un passé révolu et aux ateliers de restauration de livres rares. À l’instar de l’atelier des frères Ceniza dans le roman « Club Dumas » d’Arturo Perez-Reverte.


                                  


C’est dans cet endroit, où les livres retrouvent une nouvelle vie, que Keenan Poloncsak a choisi de situer The Bookbinder’s Slaughter. Cette bande dessinée horrifique, qui évoque les Tales from the Crypt et autres Creepy. À l’occasion de la sortie de ce comic book, j’ai rencontré l’auteur dans la caverne d’Ali Baba, qui lui sert d’atelier de restauration, au cœur de l’arrondissement Ville-Marie.

Parce que oui, Keenan Poloncsak est aussi restaurateur de livres. Un métier qu’il a appris auprès de Laura Shevchenko, longtemps propriétaire de l’atelier Bookbinder’s daughter, la fille du relieur. « Le titre de ma bande dessinée est un clin d’œil à son atelier », explique-t-il avec un sourire malicieux.

Mais pas seulement le titre. L’histoire est, elle aussi, tirée de son expérience au travail, et plus particulièrement d’un client. « Vaguement inspiré », précise-t-il. « Il s’agissait d’un homme d’Église étrange qui venait faire réparer ses bibles. À chaque visite, il demandait à Laura le nom de l’église qu’elle fréquentait. » Cette question devenait délicate, puisqu’elle ne s’y rendait pas. « Elle tentait de se défiler, mais il revenait toujours avec la même question. » Quand elle lui a dit la vérité, il s’est mis à vouloir connaître les raisons qui justifiaient son refus d’en fréquenter une. »

                              


Il est indéniable que, lorsqu’on l’écoute parler de cet énigmatique ecclésiastique, on comprend pourquoi il est devenu le centre d’une bande dessinée d’horreur. Il portait en lui les éléments pour devenir un de ses inquiétants et sinistres pasteurs protestants enfin, je présume — apocalyptiques, bras armé d’un Dieu courroucé et vengeur. Un pasteur comme le Henry Kane de Poltergeist II, interprété par Julian Beck, cofondateur du mythique Living Theatre. De ceux qui font vibrer les cordes sensibles des amateurs de récits classiques d’horreur anglo-saxons, comme moi… comme Keenan Poloncsak.

« J’ai toujours aimé la bande dessinée d’horreur. D’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours dessiné des monstres, des dinosaures, Godzilla, des zombies, etc. Ma première bédé était une BD d’horreur. » Et si, depuis, le bédéiste a fait de l’humour, du fantastique et des livres, bilingues, trilingues et même quadrilingues, pour enfants, il n’a jamais, pour autant, perdu le goût d’y revenir. J’avais envie de recommencer, mais pour cela, il lui fallait une histoire captivante. C’est peut-être cette rencontre avec ce client mystérieux qui lui a donné l’inspiration nécessaire.

La BD regorge de souvenirs réconfortants de ces courtes histoires qui ont marqué mon adolescence. Cependant, elle renferme également des échos du Evil Dead de Sam Raimi, notamment grâce à la présence d’un mystérieux grimoire fabriqué à partir de peau humaine. « Mon Dieu, j’ai vu ce film quand j’avais 7 ou 8 ans. Je n’avais pas le droit de le regarder, mais je l’ai fait pareil. C’est un chef-d’œuvre ce film-là. Mais bon pour être franc, ce n’était pas vraiment un hommage. Si je montre ce livre, c’est parce que j’avais envie de parler de bibliopégie anthropodermique. »

                                                                      




Bibliopégie, qu’est-ce que c’est ? En résumé, la bibliopégie anthropodermique est la pratique qui consiste à relier des livres avec de la peau humaine, qui provenait souvent d’indigents sans famille ou de condamnés à mort. Une pratique née dans les cercles médicaux au XVIIIe siècle et disparue dans les cendres de la Seconde Guerre mondiale. De quoi exciter tous les émules de Josef Mengele. « On en compterait à peu près 80 dans le monde, repartis dans des universités, des bibliothèques et des archives. » Dont un tiers qui ne serait pas du tout en chair humaine.

Mais qu’ils aient ou non véritablement existé, que leur reliure soit en cuir humain ou non, il faut que j’avoue que le simple fait d’y penser fait naître, chez moi, un frisson de peur qui parcourt ma nuque. D’autant plus que l’héroïne de la BD semble, elle, en avoir une belle collection. Mystère et boule de gomme !

Truffée de citations bibliques qui ajoutent à l’ambiance lugubre, The Bookbinder’s Slaughter est une bande dessinée où les cases explosent et le texte, sans phylactère, accompagne les illustrations. On a l’impression d’être dans une nouvelle illustrée à l’esprit d’une bande dessinée. « En fait c’est le journal personnel de la restauratrice qu’on lit. »

Si ses autres comics ont eu droit à plusieurs numéros, ça ne sera pas le cas pour The Bookbinder’s Slaughter. « L’histoire est complète. Je ne pense pas que je pourrais faire une suite. Je pourrais en faire une c’est certain, mais il faudrait qu’elle soit à sa hauteur » précise celui qui toutefois garde la porte ouverte. « Il faudrait que j’y pense encore pendant quelques années » conclut-il en rigolant.

The Bookbinder’s Slaughter tout comme ses autres bédés et livres pour enfants, sont disponibles entre autres sur son site Internet https://www.pro-can.org/news.html et dans plusieurs bibliothèques, dont la BAnQ.

Si vous avez des bibles ou d’autres livres à restaurer, n’hésitez pas à contacter Le Relieur des faubourgs, un relieur de métier, en visitant son site web à l’adresse https://www.lerelieurdesfaubourgs.com/portfolio.html.

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