Xavier Coste et la vie sauvage
Par Robert Laplante
Nous avons tous rêvé de vivre sur une île déserte, comme Tom Hanks dans Cast Away ou Gilligan et ses amis dans Les joyeux naufragés. Nous avons rêvé d’être des pirates intrépides, comme Jack Sparrow, ou encore d’être des héros solitaires, comme Robinson Crusoé, le personnage emblématique de Daniel Defoe.
On en a tous rêvé, mais passer une année entière sur une île isolée, c’est une autre histoire ! C’est ce qu’a fait Georges de Caunes, qui a accepté de vivre cette expérience. Dans l’ouvrage « Île déserte, Georges ou la vie sauvage », son fils, Antoine de Caunes, ainsi qu’un des plus grands illustrateurs des dernières décennies, Xavier Coste, racontent cette aventure humaine.
En septembre 1962, Georges de Caunes, journaliste français mythique, débarque sur l’île d’Eiao, dans l’archipel des Marquises. Sur les ondes de la RTF, de Caunes propose des interventions radiophoniques sur son quotidien sur ce tas de cailloux aux deux cocotiers et à l’unique bananier.
Seul avec sa chienne Eder, des chèvres, des scolopendres, un phacochère agressif, des moustiques particulièrement belliqueux et des requins qui infestent les eaux autour de son île, Caunes rêve de devenir Robinson Crusoé. Après quatre mois, il doit être hospitalisé sur le continent. La solitude, la malnutrition, la cruauté des lieux et un affaiblissement physique et mental ont eu raison de son rêve « danieldafoesque » et de son expédition imprudente.
Parce que oui, elle était légèrement insensée son expédition. « Il est parti sans préparation et sans assurance, alors que c’était une vedette de la RTF. L’État lui avait passé l’île, mais il ne savait pas à quoi elle ressemblait. Aujourd’hui, il y aurait une équipe de production qui aurait fait du repérage sur place avant, un médecin, un hélicoptère pour l’évacuer, etc. S’il était mort sur place, il y aurait eu tout un scandale. » Mais nous sommes en 1962 et non pas en 2025, et en 1962, ce genre d’aventure humaine à les irrésistibles échos nostalgiques, romantiques et séduisants d’une époque révolue, celle des explorateurs de jadis.
« Ça faisait plusieurs années que je tournais autour de la robinsonnade. C’est un thème qui me tenait à cœur. J’avais essayé plusieurs fois d’adapter Vendredi ou la vie sauvage de Tournier et Robinson Crusoé, mais je n’arrivais jamais à trouver un angle neuf. J’avais l’impression de faire en moins bien, ce qui avait déjà été fait. »
Jusqu’au moment où Antoine de Caunes lui parle de son projet. « Il n’avait que le titre. Il ne s’était pas encore plongé dans l’histoire. On ne savait pas encore de quoi on allait parler et j’ai trouvé ça génial. » Génial, parce qu’il pouvait se frotter à un thème qui l’inspirait depuis longtemps. Génial, parce qu’il pouvait enfin avoir un angle original sur les coulisses d’un fait vécu qu’on connaissait peu ou pas du tout.
« On était comme des chercheurs d’or. On avait accès aux carnets de notes, aux photos, aux chroniques radio, etc. » Un matériel inédit que personne n’avait pu consulter, puisque tout était dans des cartons chez Antoine de Caunes. « On avait tellement de matériel, qu’on avait de la difficulté à trouver un angle. Il a donc fallu tout lire, s’en détacher pour pouvoir trouver le bon angle » et réorganiser le récit pour lui donner plus de rythme et de vie. Parce qu’il ne faut pas se le cacher, le quotidien sur une île déserte peut rapidement devenir répétitif. « Au début, on voulait faire un journal intime. Mais ça devenait redondant, puisque George faisait toujours les mêmes choses. Alors, nous avons dû échafauder une dramaturgie » qui donnerait le goût au lecteur de rester jusqu’à la fin.
La réécriture fait progressivement quitter au récit le domaine de l’aventure insulaire pour se concentrer sur la relation entre Georges et Antoine. « Au départ, Antoine n’était pas censé apparaître. J’ai commencé à dessiner des scènes où lui, gamin de 8 ans, dialoguait avec son père sur l’île. » Un gamin qui ressentait cruellement son absence. « Je l’ai donc mis en scène et j’ai dessiné des bulles vides pour qu’il y mette ses mots. Il s’est prêté au jeu » et la bande dessinée a pu bifurquer sur une voie qui n’était pas prévue à l’origine. « Je crois que c’est cette relation père-fils qui définit le mieux la BD maintenant. J’aime bien quand un livre nous échappe et qu’il change en cours de route. »
Île déserte est aussi marqué par l’urgence. « J’étais tellement porté par l’histoire que j’ai senti qu’il fallait que ça soit fait vite. Il y a des journées où je faisais 10 planches, ce que je fais habituellement en 15 jours. En 6 mois de boulot, j’ai abattu le travail d’un an et demi. Pour 1984, par exemple j’ai pris trois ans pour la réaliser. Ce qui n’a pas du tout été le cas ici. » Tout ça en continuant à écrire le scénario en parallèle. « Je dessinais sans savoir où j’allais. Du coup, quand je dessinais une page, j’en rajoutais souvent d’autres. J’étais toujours dans l’instant du dessin. »
Un dessin qui rappelle les esquisses de voyages, ces instants fugaces d’émotions saisies au hasard du quotidien. « Il n’y a pas eu beaucoup de brouillons. Lors de mes rencontres avec Antoine, je le sentais ému. Je voulais restituer cette émotion. » Et cette émotion ne pouvait passer que dans un premier jet, sans fignolage, sans trop de précisions. « J’ai essayé, mais j’avais l’impression de perdre l’émotion du premier geste. »
La bande dessinée Île déserte est une oeuvre impressionniste aux couleurs chaudes, aussi vaporeuses que les souvenirs. Elle marque aussi une très belle collaboration entre Antoine de Caunes et Xavier Coste. « Ce qui m’a séduit chez lui c’est qu’il n’était pas un scénariste professionnel. Il écrit beaucoup, mais il n’avait jamais fait de scénario. Il ne savait pas toujours comment aborder les choses, ce qui donnait une fraîcheur à ses écrits qui m’a beaucoup plu. Ce n’était pas une collaboration scénariste-dessinateur fermée. C’était un véritable ping-pong permanent entre nous pour construire le récit. »
À un point tel qu’il est incapable de distinguer les pages qu’il a écrites de celles de son partenaire. « Quelques fois quand on travaille à deux, on peut diverger en cours de route et avoir l’impression, tous les deux, de travailler sur un livre différent. Ce qui est merveilleux ici c’est qu’on œuvrait constamment dans le même sens alors qu’on se connaissait à peine. »
Une collaboration inspirante et parfaite pour un bédéiste qui aime mettre les mains « dans le cambouis de l’écriture » pour reprendre ses propres mots. « Dans ce sentiment d’urgence, j’ai l’impression qu’on a fait ce livre comme des amateurs qui font leur première bédé. On travaillait de façon désorganisée, mais on a pris beaucoup de plaisir à la faire. C’était plus compliqué pour l’éditeur parce que, quelques fois on déviait et on était dans l’inconnu… » Comme Georges, qui ne savait pas de quoi allait être faite son aventure insulaire.
Antoine de Caunes, Xavier Coste, Île déserte, Georges ou la vie sauvage, Dargaud.
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