Transmission : En quête du nord.

                                                             


Par Robert Laplante

Mon été bd aura été marqué par Transmission, les héritages de la Baie-James, véritable coup de poing. Une rencontre dessinée aussi inspirante que surprenante entre radio et bande dessinée. Entre Annie Desrochers, animatrice hors pair, du 15-18 sur les ondes d’ici Radio-Canada Première, et Christian Quesnel, qui nous présente un projet hors norme à la hauteur de son immense talent.

Né dans la foulée du balado de même nom, Transmission nous guide à travers les paysages vertigineux de la Jamésie, à la rencontre d’un territoire et de ses habitants qu’on connaît peu. Une incursion fascinante au cœur de ces solitudes canadiennes — beaucoup plus nombreuses que les deux décrites par Hugh MacLennan dans son célèbre roman — à la recherche des évanescentes empreintes de son mystérieux grand-père, proche conseiller de Robert Bourrassa et artisan de la mise en œuvre du projet hydroélectrique de la Baie-James.

« À l’origine, mon voyage était un projet de vacances familiales », explique Annie Desrochers. Il n’était pas question d’en faire un balado. » Encore moins une bande dessinée. Ce qui ne l’empêche pas, un de ses patrons lui a suggéré d’amener un magnétophone. Au cas où… Voici une suggestion plutôt audacieuse de la part d’un directeur d’une station de radio, qui, finalement, s’avère être plutôt convaincante. « Je me suis dit que je pouvais effectivement enregistrer mon voyage et voir, selon les résultats, ce qu’on pouvait en faire. »

Le résultat de ses pérégrinations jamésiennes se transforme peu à peu en un balado, diffusé en 2019, et une bande dessinée, éditée il y a quelques semaines, gracieuseté de la COVID-19. Décidément… C’est que « la pandémie a un peu coupé l’élan du balado. J’ai eu l’impression de ne pas avoir pu finir la course que j’avais commencée, de ne pas avoir pu toucher plus de gens. » D’autant plus que Transmission avait été très bien reçue par les auditeurs. « Certains d’entre eux m’avaient même suggéré d’en faire un livre. » Annie Desrochers, bien qu’elle soit très talentueuse, se sentait mal à l’aise à l’idée de faire cela. « Je n’écris pas dans la vie. Ce n’est pas mon métier. »

                                    


C’est en discutant avec le réalisateur du balado, Cédric Chabuel, que la possibilité d’une adaptation en bande dessinée est venue. Une rencontre naturelle, selon elle. « Pour moi, le balado, la radio et la BD sont complémentaires. La bande dessinée n’est pas très loin de l’audio. Dans l’audio on a la parole, les sons, les archives, etc. On peut créer des couches sonores » qui font naître des images et qui racontent une histoire.

La bande dessinée, elle, peut donner vie aux sons, les traduire sur papier. Surtout, quand elle est illustrée par Christian Quesnel, passé maître dans l’art de composer de véritables symphonies dessinées aux multiples mélodies. Des mélodies, qui, dans Transmission, valsent ensemble au rythme des respirations et des battements de cœur du Nord québécois. « Christian a une grande sensibilité graphique. Il a vite compris que le son créait des images. On entend et on ressent le nord dans ses illustrations. »

Mais la radio et la BD ont beau être complémentaires, ce sont quand même deux médiums différents avec chacun leurs codes narratifs. Si la rencontre semble naturelle et facile de prime abord, elle l’est peut-être moins qu’on ne le pense. « J’avoue que l’apprentissage a été difficile, reconnaît-elle. » Surtout lorsqu’elle a dû transcrire son balado en mots, en émotion, en efficacité et en images sur une page froide et impersonnelle. « Je trouvais que mon texte manquait d’émotions. »

L’affirmation surprend Christian Quesnel, muet depuis le début de la rencontre. « Ça m’étonne toujours quand Annie dit que ce n’est pas sa spécialité d’écrire, parce que son texte était bon. Dès sa première lecture, j’ai vu les images et les émotions. » Les images, l’émotion et un rythme aussi, dont il a peut-être pu prendre conscience en écoutant le balado. « Il y avait effectivement beaucoup de rythme. Le défi c’était de le reproduire, tout en y intégrant des scènes plus contemplatives, pour faire respirer le récit. »

Des respirations essentielles « pour permettre au lecteur de souffler un peu. » Histoire d’assimiler les nombreuses informations historiques, anthropologiques, sociétales et sociologiques de Transmissions et de prendre conscience de la magnifique démesure du Nord québécois. « Christian m’avait dit, au début de notre collaboration, que, si les images allaient remplacer le son, l’émotion, elle, serait toujours aussi présente » renchérit-elle. « Quand j’ai vu ses premières planches, j’ai compris ce qu’il voulait dire. »

Bande dessinée exceptionnelle, Transmission et sa rencontre entre l’histoire personnelle d’Annie Desrochers et la grande histoire du Québec de la Révolution tranquille remettent l’éclairage sur un territoire qu’on connaît peu et sur une histoire qu’on a fini par oublier. « Les Québécois ont un appétit pour leur histoire. Une histoire qu’on ne leur a pas toujours bien ou complètement racontée. »

Le balado et la bande dessinée « Transmission » pourraient nous aider à renouer avec notre passé et notre terroir, qui ont contribué à notre formation. En tout cas, lui, il l’a fait.

Tiens, j’ai bien envie d’y aller l’été prochain.

Annie Desrochers, Christian Quesnel, Transmission, les héritages de la Baie-James, Écosociété.

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