Tsunamis : Au cœur de la tempête témoin/acteur

 

                                             


Par Robert Laplante

26 décembre 2004, pendant que la planète se prépare à célébrer la nouvelle année, un puissant séisme se produit au large de Sumatra, à la frontière des plaques tectoniques eurasienne et indo-australienne. Quelques minutes plus tard, un tsunami gigantesque frappe l’Indonésie, les côtes du Sri Lanka et du sud de l’Inde, ainsi que l’ouest de la Thaïlande.

En quelques instants, l’ensemble de la communauté médiatique mondiale, y compris Sév, une jeune reporter radio pigiste  se précipite dans les régions dévastées. Cette expérience la marquera profondément, et elle vient de le raconter dans une très intéressante bande dessinée, « Tsunami, les tribulations d’une jeune journaliste », publiée par XYZ.

Mais pourquoi la bédé ? Pourquoi pas un roman, un journal de bord ou une enquête journalistique ? « Tout simplement parce qu’elle est plus naturelle pour moi. Je dessine depuis toujours. » Tellement naturelle, qu’elle s’impose d’elle-même quand vient le temps d’exorciser son tsunami. « La bédé me donnait plus de libertés. Elle me permettait de passer du drame à l’humour et d’explorer des zones d’émotions et de ressenti. Je ne pense pas que j’aurais été capable de faire la même chose dans un roman. » Du moins, peut-être pas avec la même facilité.

Le cataclysme de Sév est loin d’être un tsunami tonitruant à la The Impossible (2012) de Juan Antonio Bayona, film catastrophe espagnol avec Noami Watts, Ewan McGregor et Tom Holland. Dans Sév, le cataclysme est minimaliste, discret, presque intimiste, un tsunami à hauteur d’Homme, de femme et de reporter. « Ce qui m’intéressait c’était ses conséquences au quotidien. Je n’avais pas envie de faire du spectaculaire ou du misérabilisme. Je voulais être pudique et respectueuse du et des drames personnels » qui se déroulaient devant ses yeux et son micro. « J’ai été marqué par la résilience des victimes et de leurs proches. J’ai beaucoup d’estime pour ceux qui se rebâtissent, qui se battent pour retrouver leurs proches et qui luttent contre les gouvernements pour avoir des indemnisations. »

                                  


Bien que son tsunami ne soit pas aussi spectaculaire que celui de Bayona, il n’en demeure pas moins l’élément principal de sa bande dessinée. Il ne constitue pas la quintessence de l’histoire, mais plutôt le décor dans lequel elle se déroule. « Le récit principal c’est le vécu d’une jeune reporter radio pigiste  qu’on garroche sur le terrain, qui ne se sent pas à sa place et qui souffre du syndrome de l’imposteur. » Une jeune reporter indépendante  qui vit le tsunami en même temps que ses propres tsunamis intérieurs. « Il se nomme Tsunami, mais il aurait pu aussi bien se nommer feux de forêt, tremblements de terre, inondations. » Ou n’importe quelle autre catastrophe, pourvu qu’elle se passe à l’extérieur de notre confort québécois, canadien, américain du nord et même Occidental.

Bien qu’elle ne se sente pas prête et qu’elle ne reçoive pas le soutien de l'institution qui fait appel à ses services , elle se lance tête première dans l’aventure. Mais a-t-elle vraiment le choix ? Non, puisque le journaliste permanent et plus expérimenté qui devait y aller  n’a pas les vaccins nécessaires pour se rendre au Sri Lanka et qu’elle ne peut pas se permettre de refuser des contrats.

Sans l’aide d’un monteur, d’un cameraman, ni d’un preneur de son, elle doit tout organiser elle-même : les réservations d’avion et d’hôtel, la location de voitures, la recherche d’un chauffeur, d’un fixeur et d’un traducteur, ainsi que la recherche de contacts. Ces contacts essentiels qui aident à la confection d’excellents reportages et que les journalistes gardent jalousement pour eux. « Je ne me considère pas comme une grande journaliste à la Jean-François Lépine. J’étais au bon endroit au bon moment ou au mauvais endroit au mauvais moment, si vous préférez. »

Ce qui ne l’empêche pas de se poser beaucoup de questions sur son rôle. « Sur place j’avais l’impression que j’exploitais la détresse et que je ne donnais rien en retour. J’enregistrais des sons, de gens qui pleurent, qui crient, pour les transmettre chez nous. Mais je ne pouvais pas les aider concrètement. Si j’avais travaillé sur une catastrophe québécoise, j’aurais eu une utilité. J’aurais pu servir de lien entre les victimes et ceux qui peuvent les aider. Mais au Sri Lanka, je ne sais pas. »

Échafaudée à partir des textes qu’elle écrivait pour ses reportages radio, la bédé est un collage réussi de souvenirs, de fugaces instants de vie et de doutes. « En entrevue Bernard-Henri Levy confiait que l’idéal d’un reporter de guerre c’était la neutralité dans l’observation. Lui, il se voyait plutôt comme un acteur qui prend parti, qui fait avancer les choses. Dans mon for intérieur je pense que j’aurais plus voulu être acteur que spectateur. Encore aujourd’hui, je me demande si j’aurais dû les aider. »

Cette bande dessinée est essentielle pour quiconque s’intéresse au journalisme et à la vie d’un reporter international. Ce métier est prestigieux et fascinant. « Tsunami : les tribulations d’une jeune reporter » est une lecture captivante sur un événement tragique que nous avons presque tous oublié aujourd’hui.

Sév, qui a d’autres ambitions en matière de bandes dessinées, semble moins préoccupée par son rôle social depuis qu’elle a quitté le journalisme pour se lancer dans le marketing philanthropique. Il est logique qu’elle puisse enfin devenir l’actrice du développement humain et social qu’elle a toujours voulu être, mais que le journalisme et son objectivité ne lui permettaient pas d’être.

Sév : Tsunamis, les tribulations d’une jeune reporter, Quai no 5, XYZ.

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