1,2.3 Piccard. Voyage au centre de la Piccardie
par Robert Laplante
Certains patronymes semblent prescrire l’excellence à leurs détenteurs. Par exemple, le jeune Bertrand Piccard est le fils du célèbre océanographe et océanaute Jacques. Ce dernier fait partie des explorateurs des profondeurs des sept mers.
Son grand-père, Auguste, s’est aussi inscrit dans notre patrimoine scientifique en effectuant les premiers vols en ballon dans la stratosphère. On pense d’ailleurs qu’il a inspiré le personnage de Tournesol, dans la bande dessinée « Tintin ». Tout un héritage familial !
« Pour Tournesol je l’ai appris assez tard. Vers la fin de sa vie, Hergé a commencé à parler de ses sources d’inspiration. C’est à ce moment que j’ai su que Tournesol était mon grand-père » explique Bertrand Piccard, rencontré lors du Toronto International Films Festival, où il présentait The Balloonists, un documentaire de John Dower, consacré à son odyssée aérostière, à lui et à Brian Jones, à bord du Breitling Orbiter 3.
« Enfin, pas tout à fait, nuance-t-il, parce que mon grand-père était plus grand que lui. Il faisait 1 mètre 90. D’ailleurs, Hergé disait à la blague, qu’il avait dessiné son Tournesol plus petit, que mon grand-père, pour pouvoir le faire entrer dans les cases. » Ce qui aurait été impossible avec son grand-père, on en convient.
Quand même, avoir Tournesol dans sa famille c’est plutôt agréable. Surtout quand on ressent son absence. « Quand elle était petite, une de mes filles me disait que, si je m’ennuyais de mon grand-père, je pouvais toujours lire un Tintin pour le revoir » rigole-t-il.
Deux grands explorateurs, dont un qui a inspiré Hergé, voilà un arbre généalogique qui aurait pu faire peur à plus d’un. Même à un explorateur, rompu à l’aventure, comme Bertrand Piccard « Effectivement, plus jeune, je sentais les attentes du public. »
Une chance pour lui, il avait aussi une mère qui l’a beaucoup influencé et qui a pu alléger le poids de son nom de famille. « Ma mère était intéressée par la médecine, la spiritualité, la psychiatrie et le bien-être intérieur. » Des intérêts qu’elle lui a transmis. « C’est pour ça que j’ai étudié en médecine. Et c’est parce que j’étais médecin, psychiatre et thérapeute que Wim Verstraeten m’a contacté » pour l’accompagner dans la Chrysler Transatlantic Challenge, une course de ballons, en 1992.
Depuis, il ne cesse de s’aventurer dans les cieux, à bord de ballons, d’avions solaires (le Solar Impulse, c’était lui) et bientôt d’avions à hydrogène. En effet, les premiers essais de son Climate Impulse sont prévus pour 2026. Quel parcours époustouflant ! Ça donne vraiment envie de rêver.
C’est peut-être pour ça que le bédéiste Jean-Yves Duhoo a décidé de lui consacrer une sympathique bande dessinée. Mais pas juste à lui. À son père et à son grand-père aussi. Après avoir arpenté la mer et les airs, les trois Piccard s’aventurent maintenant dans les cases d’une bande dessinée, comme de véritables héros de papier.
« « C’est Dargaud qui est à l’origine du projet » explique l’explorateur-psychiatre. « Je trouvais l’idée intéressante, parce que la bédé permettait de raconter notre histoire sous un autre angle, avec de l’émotion, des interactions entre les personnages, de l’humour. » Et un parfum de vie qui n’aurait pas pu être présent dans une biographie plus sérieuse, plus froide, plus désincarnée.
Ce qui ne l’a pas empêché d’avoir, au début, un peu peur du résultat, notamment à cause du trait sympathique, nerveux, un brin caricatural et rythmé de Duhoo. « À l’origine, j’imaginais un style plus réaliste à la Buck Danny ou Dan Cooper, » deux de ses lectures d’enfance. « Mais Dargaud m’a demandé de lui faire confiance et m’a affirmé que le résultat ne me décevrait pas. » Ce qui fut, effectivement, le cas.
« J’avais aussi peur que la bédé ne soit pas, tout à fait, représentative de ce que nous avions vécu ma famille et moi. » Ici encore, il a été agréablement surpris. « La bédé m’a permis de mettre des images sur des moments de la vie de mon père et de mon grand-père. Je les connaissais ces moments, on me les avait racontés. Mais je n’avais jamais pu mettre d’images dessus. C’est comme si j’avais toujours eu le son, mais jamais les images. » Ce qui est maintenant chose faite.
L’épopée de trois générations de Piccard a été bien représentée parce que l’environnementaliste et Champion de la Terre 2012, la récompense accordée par l’ONU aux leaders environnementaux exceptionnels, a participé activement à la création de la bande dessinée. « Je lui ai suggéré des bouquins et des documentaires et je lui ai beaucoup parlé de ma famille, » sans complaisance, sans fard et sans faux-fuyant. « J’ai été honnête avec lui, je n’ai rien caché. Ça ne m’intéressait pas d’enjoliver notre histoire. Oui, je voulais protéger la mémoire des Piccard, mais pas l’embellir. L’important c’était de préserver notre désir de repousser les frontières, d’explorer et de préserver l’environnement. » Des préoccupations au cœur de l’action des 3 Piccard.
« Il a été très fidèle a ce que je lui ai raconté. Le seul problème, c’est qu’il n’a pas pu tout mettre. Par exemple, pour mon grand-père, il a commencé avec sa vie d’adulte, dans les années 1920. Il n’a pas pu parler de son enfance avec son jumeau Jean. » Un frère jumeau, chimiste, ingénieur, professeur et aéronaute, qui a fait carrière aux États-Unis et qui aurait servi de modèle au légendaire commandant Jean-Luc Picard de Star Trek, next generation et de Star Trek, Picard. « C’est ma cousine, sa petite-fille, qui avait parlé de lui aux créateurs de Star Trek. » Une intervention qui, visiblement n’était pas tombée dans les oreilles d’un sourd.
Entre ses allers-retours pour promouvoir son documentaire dans divers festivals cinématographiques et ses entrevues pour sa bande dessinée, Bertrand Piccard ne ménage pas ses efforts pour défendre la cause environnementale. « Survoler la planète m’a permis de l’aimer encore plus, de voir combien son équilibre est magique. Il faut réconcilier les environnementalistes et l’industrie. Personne n’a tout à fait tort ni tout à fait raison. L’écologie doit être au cœur de l’économie et l’Industrie doit travailler à trouver des solutions aux problèmes environnementaux. Nous devons rétablir le dialogue et trouver un terrain d’entente », a déclaré l’explorateur avec enthousiasme. Passionné de la planète, il a écrit onze livres et est maintenant un personnage de bande dessinée, tout comme son grand-père et son grand-oncle.
On ne peut qu’être d’accord. Après tout, il est le petit-fils de Tournesol.
Jean-Yves Duhoo, 1,2,3 Piccard, pionniers du ciel et des abysses, Dargaud.
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