Palmer dans le rouge : Quand le vin est tiré, il faut le boire.
Par Robert Laplante
Il faut savoir quitter la table, lorsque l’amour est desservi, chantait Charles Aznavour. Parfois, on la quitte trop rapidement et pour diverses raisons, certaines indépendantes de notre volonté, comme la mort.
C’est exactement ce qui est arrivé au détective le plus surprenant du 9e art francophone, Jack Palmer. Après le décès de son créateur René Pétillon le 30 septembre 2018, Jack Palmer a été envoyé au paradis des personnages de bande dessinée.
Tout comme un messie aux longs cheveux et à la barbe fournie, qui a opéré une résurrection pendant la nuit de Pâques, Palmer, le détective, vient de renaître le temps d’un album pour une toute nouvelle affaire, absurde, au cœur du monde du vin. Comme quoi, la vérité est effectivement dans le vin.
In vino veritas.
Bénédicte, l’héritière des Grolo-Laglotte, viticulteurs réputés du Médoc, disparaît mystérieusement peu de temps avant son mariage avec l’héritier de Frank Moroso, un magnat du vin de Californie. Tout ce qu’elle laisse derrière elle, c’est une lettre énigmatique qui remet en question tous les espoirs des Grolo-Laglotte de sauver leur domaine, qui se trouve au bord de la ruine.
Sur les conseils d’un cousin corse, la famille décide de faire appel à Jack Palmer. Cependant, avec Jack Palmer, tout est compliqué. Contre toute attente, l’ineffable détective privé, un peu trop ivre, découvre un lièvre beaucoup plus important que la disparition d’une héritière… qui pourrait bien ne pas être disparue du tout.
Avant de mourir, René Pétillon avait presque achevé le scénario de cette bande dessinée hilarante. Il ne restait plus qu’à trouver un dessinateur capable de s’inspirer de son univers graphique. Qui de mieux que l’excellent Manu Larcenet, grand admirateur de l’humour, de la verve et du style graphique de Pétillon, pour assurer le retour triomphal de Palmer ?
Le résultat est une bande dessinée complètement déjantée qui m’a fait beaucoup rire. Il convient de mentionner que j’ai toujours été un grand admirateur de Jack Palmer. Depuis en fait la lecture des Disparus d’Apostrophes, une caricature mordante du milieu littéraire, de ses auteurs, traducteurs, éditeurs et intellectuels imbus d’eux-mêmes, en manque d’amour et sensibles aux pires flagorneries des fumistes et des profiteurs.
J’ai toujours apprécié son humour cynique, son regard sans complaisance et son désir de combattre l’hypocrisie, peu importe où elle se trouvait. Rien ne pouvait échapper à l’œil aiguisé du bédéiste, qui excellait dans l’art de mettre en lumière les comportements les plus ridicules de nos contemporains, y compris ceux de Palmer. Cette nouvelle enquête étonnante ne modifie pas la formule. Pourquoi changer une recette quand tout est excellent.
Reconnaissons toutefois que, dans le cas de Pétillon, changer la recette aurait été très difficile, puisqu’il avait presque bouclé son scénario à sa mort. Cela dit, Larcenet aurait pu facilement réinventer l’histoire pour l’adapter à son propre style visuel et narratif. Ce qu’il n’a pas fait.
En réalité, une profonde harmonie mentale se manifeste entre les deux auteurs tout au long de l’aventure de ce personnage improbable qui évoque Philip Marlowe. L’essence du récit, les rebondissements inattendus, les coups de théâtre délirants et les répliques savoureuses — une rencontre inspirante entre l’absurde et le « small talk » banal et inutile — créées par Pétillon s’intègrent parfaitement à l’univers humoristique de Larcenet.
Chez Jack Palmer, il y a une facilité à faire déraper un récit pour le transformer en une farce incontrôlable, délicieusement potache, qui rappelle les comédies iconoclastes de la troupe du Splendid, avec une pointe des Monty Python et de Claude Meunier. Une bouffonne qui se soumet aux fantasmes des personnages qui écrivent leur propre histoire, ne tenant aucun compte des conventions.
Est-ce qu’il y aura d’autres Jack Palmer ? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Mais on peut d’ores et déjà affirmer que cette résurrection, même si elle n’est que temporaire, en vaut la peine.
Maintenant qu’il est revenu faire, avec brio, ses derniers trois petits tours, Jack Palmer peut mettre en pratique, s’il le désire, le célèbre conseil d’Aznavour… Mais s’il le désire seulement.
Un petit sac de strips.
En parlant de bande dessinée amusante, comment ne pas mentionner la dernière création d’Iris, « Strips au ketchup » ? Il est important de souligner que, une fois de plus, la dessinatrice excelle dans l’art de transformer son quotidien en une hilarante blague absurde.
Avec ses dialogues décalés, son regard aiguisé qui perçoit l’humour dans toutes les vicissitudes du quotidien, et son trait discret, sans esbroufe, mais incroyablement efficace, Iris propose une bande dessinée où je me suis beaucoup reconnu.
Experte dans l’art de transcender le banal en des histoires hilarantes, Iris nous entraîne dans une comédie burlesque qui ne m’a jamais déçu ni ennuyé.
J’ai toujours préféré les chips assaisonnées au vinaigre plutôt qu’au ketchup. Cependant, les bandes de ketchup sont absolument délicieuses.
Qui sait, un deuxième volume pourrait émerger, intitulé « Bandes ordinaires », ou « Bandes au guacamole », ou « Bandes au BBQ », et ainsi de suite. Le potentiel est illimité, tout comme la variété des saveurs de chips. Je me souhaite cette grâce.
Manu Larcenet, René Pétillon, Palmer dans le rouge, Dargaud
Iris, Strips au ketchup, Pow Pow





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