Et si on était.


                                            
Je suis toujours surpris par l’immense maturité qu’a acquise la bande dessinée québécoise depuis le début des années 2000. En moins de deux décennies, notre 9e art a su imposer sa spécificité sur la production mondiale. Grâce à ses créateurs talentueux et à ses éditeurs sensibles, aventureux, sans complexes et prêts à relever les défis de l’industrie des « petits Mickey », notre 9e art a fait sa niche dans un marché dominé par les géants français, belges, américains et japonais. Exploit plus important encore, elle a été adoptée par les Québécois qui en consomment de plus en plus. Une très grande victoire pour un art qui encore dernièrement était associé à des adulescents boutonneux, ces victimes du syndrome de Peter Pan qui refusent de vieillir et de lire des livres plus « sérieux » comme se plait à le dire Richard Martineau.

Tous les garçons et les filles de mon âge.
Parmi les belles réussites du printemps 2019, il y a la toute dernière parution de Sophie Bédard, Les petits garçons, un irrésistible polaroïd de ces jeunes adultes urbain à l’aube de la trentaine.
Après un an, sans donner de nouvelles, Nana démarque sans avertissement dans son ancien appartement, où habitent encore ses amies qu’elle avait abandonnées. Nana aimerait bien qu’elles lui pardonnent cette fuite aussi inexplicable qu’inattendue. Hélas, rien n’est vraiment simple dans la vie de Nana et rapidement tout ce qui semblait sur papier d’une facilité déconcertante devient soudainement inextricablement compliqué.

                              

J’adore Sophie Bedard. J’avais beaucoup aimé ses Glorieux Printemps, une chronique adolescente remplie d’humour contagieux, d’observations sociales décapantes et du parfum d’un romantisme nostalgique bon enfant. Le même parfum enivrant qu’on retrouve dans les films de John Hugues. Alors qu’on aime beaucoup teinter l’adolescence d’un soupçon de pessimisme et de noirceur, Sophie Bédard en parle avec humour, affection et optimisme sans l’édulcorer ou la colorer rose bonbon. Une adolescence qui ressemblait à la mienne.
Ces grandes qualités, elle les transpose avec succès dans Les petits garçons. Avec intelligence, subtilité et toujours le même sens percutant de la répartie, elle nous raconte l’incroyable quotidien de ses trois héroïnes et de la ribambelle de personnages déjantés qui composent son univers. Dialoguiste de talent, Sophie Bédard sait mettre dans la bouche de ses personnages des mots qui sonnent vrais et authentiques. En les écoutant j’ai l’impression d’entendre les mots et les préoccupations des jeunes adultes de mon entourage, très loin de ce que j’ai vécu… mais pas si loin que ça quand j’y pense bien. Le tout appuyé par son dessin sympathique qui sied à merveille à son humour irrésistible et à son dévastateur sens de l’observation.
Il y a longtemps que je n’avais pas eu autant d’éclats de rire en lisant une bédé. Le genre d’éclat qui nous force à arrêter notre lecture quelques minutes. A vrai dire ça ne s’était pas passé depuis… L’hostie de chat de Ziviane et Iris.
Et curieusement les deux bandes dessinées se ressemblent, comme si Les petits garçons étaient le nouveau Hostie de chat.

Un incontournable.

                                           


Si j’étais… un auteur de bédé.
Si j’étais un auteur de bédé… je voudrais être Axelle Lenoir. Bon je dois être honnête, je suis presque jaloux du talent de cette bédéiste. Excellente dessinatrice, elle aussi une de nos meilleures conteuses, une de nos plus imaginatives et une de nos plus belles plumes. Bref elle me fait penser à Denis Villeneuve trop de talents en une seule personne. Et ce n’est pas avec Si on était…, son nouvel album, que je vais changer d’opinion.
Marie et Nathalie, deux attachantes adolescentes de 17 ans jouent depuis des années à « Si on était… ». Un étrange jeu qui leur permet de faire preuve de la grande richesse de leur humour et la fertilité de leur imagination. 
Bande dessinée publiée originalement dans Curium, Si on était… démontre avec brio tout le talent d’une Lenoir qui s’épanouit d’album en album, de page en page.
À la fois, proche et loin des Nombrils, Si on était…  a aussi un parfum très « gotlibien ». On retrouve au fil des pages, des situations, des répliques et de gags qui auraient pu se retrouver dans les géniales Rubriques-à-brac. Mais il n’y pas que Gotlib, Delaf et Dubuc qui teintent subtilement le nouvel album de Lenoir. Que dire de Franquin qui pointe en filigrane le bout du nez de son génie. Avec son mélange savamment dosé de bandes dessinées traditionnelles et d’extraits de journaux personnels, on ne peut pas s’empêcher de penser à En direct de La Gaffe. Un album où le maitre utilisait avec succès une recette semblable. 
Delaf, Dubuc, Gotlib et Franquin des références certes, mais qui jamais ne viennent parasiter le travail exceptionnel de Lenoir. Comme pour ses albums précédents Lenoir a su digérer ses influences, les métisser avec ses grandes qualités et les transformer en un produit résolument authentique, original et représentatif de sa personnalité et de ses préoccupations artistiques.
Je vous l’avais dit, à force de la lire album après album, on en devient presque jaloux. Mais ne vous privez pas du plaisir de la lire.

Sophie Bedard, Les petits garçons, Édition Pow Pow.

Axelle Lenoir, Si on était…, Front Froid.

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