La planète aux cauchemars : au cœur de l’indicible peur.
Par Robert
Laplante
Le 15 mars
dernier, les amateurs de fantastique commémoraient, le 82e
anniversaire de la mort de Howard Philip Lovecraft membre, avec Poe et Stephen King, de la Sainte
Trinité américaine de l’horreur. 82 ans après sa disparition, le maître est
toujours aussi présent dans notre imaginaire. Et même si une grande partie de ses
collègues écrivains des années « pulp » sont disparus de nos mémoires, l’empreinte
du père de Dagon, elle, est toujours là, tapie dans l’ombre comme son univers
horrifique.
L’indicible
horreur.
Mathieu
Sapin est un de ces bédéistes qui s’est nourri aux œuvres de l’écrivain du
Rhode Island. Avec l’aide de Patrick Pion il avait réalisé il y a quelques
années déjà Le rêve dans la maison de la sorcière, une excellente
adaptation d’une nouvelle de Lovecraft qui faisait partie du cycle de Cthulhu.
Le duo,
récidive avec La planète aux cauchemars, une audacieuse transposition du
Cauchemar d’Innsmouth dans un univers de science-fiction, d’exploration
spatiale presque que space opera.
Eva Orne décide
de visiter sa famille sur la planète Arkham. Hélas pour elle, la navette
spatiale s’avère trop onéreuse pour ses moyens. Pour rejoindre Arkham elle n’a
pas le choix, elle doit prendre la barge plus économique du vieux Joe Sargent.
Mais si le billet coûte moins cher, c’est parce qu’elle fait un arrêt à Innsmüt,
une planète perdue à la mauvaise réputation.
Ancienne
planète riche reconnue pour ses raffineries d’or, Innsmüt est maintenant
malfamée, glauque et peuplée d’habitants difformes. On raconte même que le
diable aurait eu un rôle à jouer dans son destin.
Adaptation
très libre d’une de mes nouvelles préférées de Lovecraft, La planète aux
cauchemars est une des belles surprises de l’été. En situant le texte de
Lovecraft dans un univers de soap opera, Sapin et Pion redonnent un souffle
nouveau à cette célèbre nouvelle.
Intelligemment
le tandem modernise la nouvelle sans pourtant altérer l’oppressant climat d’angoisse
dans laquelle elle baignait. Loin d’avoir pris une ride le cauchemar
d’Innsmouth, reste toujours aussi hypnotisant et horrifique.
En la
revisitant respectueusement, en incluant subtilement des revirements de
situations, des coups de théâtre et des scènes d’action les bédéistes servent
avec brio les grands talents de conteur du génial écrivain.
Si le cinéma
n’a jamais su servir les nouvelles du maitre, on attend toujours l’adaptation
de Guillermo del Toro, la bédé, elle, sait depuis longtemps traduire en image
les cauchemars de Lovecraft.
Cauchemars
scolaires.
1980, Bruce
Moutard fait sa rentrée dans un collège de Melbourne. Maigre, timide et
réfractaire aux sports l’adolescent devient vite la tête de Turc des autres
étudiants. Victime d’intimidation il se réfugie, dans un monde parallèle où il
peut se venger et sans retenu de ses intimidateurs. Une fois adulte, Bruce se
découvre une haine viscérale pour la nourriture. Et si
Nouvelle bd,
de l’Australien Bruce Mutard, souffre-douleur dérange. Elle dérange dans
le rapport malsain que le bédéiste entretient avec la nourriture oui, mais elle
dérange aussi par sa dénonciation de l’intimidation quotidienne, anonyme et
banale, celle de tous les jours, celle de petits gestes anodins faits inconsciemment
dont l’empreinte ne quitte jamais les victimes.
Avec
franchise, pudeur et authenticité Mutard raconte sa vie quotidienne sans faux-fuyants,
sans se cacher derrière de grandes explications, sans masquer ses propres
lâchetés.
Le résultat
est une œuvre déstabilisante, émotive, chargée symboliquement, qui s’incruste
dans les zones les plus protégées de nos souvenirs. Celles où nous avons édifié
de grandes palissades pour nous protéger et pour contenir toute la rage et le
désespoir des épreuves qui nous ont marqué indélébilement.
Si la deuxième partie sur les troubles
alimentaires m’a moins touché, bien qu’elle soit très intéressante, la première
partie sur l’intimidation, elle, m’a beaucoup bouleversé, Les cauchemars que
Mutard a vécus parce qu’il était mauvais en sport, l’humiliation d’être choisi
le dernier dans les équipes sportives, l’isolement de ne pas être performant en
sport ont fait monter en moi des souvenirs que je croyais refouler profondément.
Ne serait-ce
que cette réminiscence de ces petites intimidations anodines, sans « conséquences, »
involontaires, déguisées en humour douteux, faites par un groupe inconscient,
du moins je l’espère, du mal qu’il faisait, il faut lire Souffre-Douleur.
Mathieu
Sapin, Patrick Pion, La planète aux cauchemars, Rue de Sèvres.
Bruce
Mutard, Souffre douleur, Ça et là.
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