Alix, Jhen, les nouveaux habits des légendes du passé.
Par Robert
Laplante
Il y a quand
même quelques bulles de bonheur dans cette damnée pandémie et son maudit
confinement. Comme les bandes dessinées prévues pour le printemps ont dû
attendre jusqu’au déconfinement pour arriver dans nos libraires. Nous avons un
été, plein de nouveautés réjouissantes.
Et quelques fois nous avons le grand plaisir d’avoir dans la même semaine deux
excellents albums du même auteur. C’est ce qui est arrivé avec Valérie Mangin qui nous a
présenté coup sur coup le nouveau Alix Senator et sa toute première incursion
dans le monde de Jhen. Serait-ce une petite récompense pour avoir vécu un
printemps anxiogène ? Je ne sais pas, mais pour moi c’est un peu Noël en
juillet.
Tous les
chemins mènent à la Gaule.
On connait
tous Alix le fameux Gaulois de Jacques Martin. Ce héros qui lui a permis de
s’imposer comme le chef de file de la bande dessinée historique et qui inspira
nombre de ses collègues. Des collègues qui, comme lui, métisseront allègrement
petite et grande Histoire et aventures palpitantes.
Depuis 2012
Valérie Mangin et Thierry Demarez animent Alix Senator. Une série qui se
consacre à un Alix quinquagénaire. Mais malgré son âge et son rôle dans les
rouages de la vie politique romaine - il a quand même été nommé sénateur par
son ami Auguste - Alix est toujours aussi impétueux, prompt à en découdre avec
l’injustice et à risquer sa vie pour éviter la guerre. Car comme le dit si bien
le vieil adage : « Il vaut mieux une mauvaise paix que la meilleure
guerre. »
Lidia, sœur de
Caius Octavius Thurinus et grand amour d’Alix, vient de mourir dans les bras du
Gaulois. Fou de désespoir, il décide de renouer avec ses racines gauloises. Même
si la Gaule a beaucoup changé avec la présence romaine il reste toujours des fantômes
du passé qui refusent de disparaître. Des spectres qui hantent les alentours
d’Alésia, l’oppidum qui selon Abraracourcix serait impossible à localiser.
11e
volet des aventures d’Alix Senator, La forêt carnivore est un album bien
réussi qui s’inscrit parfaitement dans l’esprit de cette fascinante série qui a
su donner un souffle nouveau à un univers devenu au fil du temps un peu
statique et unidimensionnel.
Même si Alix
garde les grandes caractéristiques que Martin lui a insufflées. Même s’il reste
toujours cet archétype du héros comme on le percevait avant la naissance de
l’antihéros. Le Alix de Mangin et Démarez a quand même sa part d’ombre, de
doute, de manque d’assurance et de remise en question. Un Alix plus fatigué qui
aspire à trouver une paix intérieure et une place dans un monde en plein
bouleversement.
Ces soupçons
de doute, de contradiction, de passion et d’hésitation permettent à Alix
d’acquérir une crédibilité et une humanité qui me semblaient moins présentes
chez Martin. Martin qui en avait fait un personnage presque désincarné parce
que trop parfait. Un boy-scout antique comme les bédés en proposaient tant avant
la révolution des années 60.
Sous la
plume inspirée de Mangin et grâce au trait aéré et précis de Démarez, Alix nous
entraine dans une Antiquité peuplée de personnages de chair et d’os, nourris et
déchirés par leurs passions et leur soif inaltérable de désirs à assouvir. Une
Antiquité de bruit et de fureur, colorée, odorante, grouillante de vie, loin de
celle froide et figée présentée dans les monographies historiques dites
sérieuses.
Je n’ai pas
été déçu par ce nouveau tome. Même si je ne sais toujours pas où est Alésia. « Alésia ?
Connais pas Alésia ! Je ne sais pas où se trouve Alésia ! Personne ne sait où
se trouve Alésia ! » aurait pu me lancer Abraracourcix.
Où y’a
pas de Jhen, y’a pas de plaisir.
Si Valerie
Mangin se frotte à Alix depuis 2012, elle ne l’avait pas encore fait avec Jhen,
autre personnage important, avec son Guy Lefranc, du mythique Jacques Martin.
C’est, maintenant chose faite avec Le Conquérant 18e aventure du célèbre
maître sculpteur du XVe siècle.
Cette
fois-ci Jhen doit lutter contre le duc de Bedford qui veut quitter la Normandie
pour l’Angleterre. Non seulement l’aristocrate veut se faire la malle, mais en
plus il veut emporter avec lui les reliques de Conquérant et la très sacrée stèle
du Conquest. Cette magnifique tapisserie, qu’on peut encore voir à Bayeux, qui
raconte la célèbre bataille d’Hastings et le couronnement de Guillaume comme
monarque de l’Angleterre.
Mais c’est
sans compter sur Jhen, certains opposants Normands, une troupe de comédiens
voleurs au service du Roi de France et les fantômes du Conquérant lui-même et
de son épouse Mathilde de Flandre.
Attention il
n’est pas question ici d’une relecture comme Mangin l’a fait avec Alix. Non, mais
plutôt d’une reprise fidèle du personnage de Martin. Avec en prime une
conclusion dramatique qui fait éclater totalement le dénouement heureux que je
m’étais imaginé. Mais n’est-ce pas l’apanage des grands raconteurs de bousculer
nos certitudes narratives ?
Seule petite
entorse au style de Martin, la mise en page moins chargée et plus aérée. Un
choix qui permet à Teng, le dessinateur, de montrer tout son savoir-faire et de
mettre en place graphiquement l’ambiance nécessaire pour la réussite de cette aventure
qui baigne dans un parfum de fantastico-politique.
Si elle
pouvait maintenant dépoussiérer Arno, une série moins connue de Martin dont
j’ai gardé de bons souvenirs, je serais aux anges.
J Martin, V
Mangin, TH Démarez Alix Senator, La forêt carnivore, Casterman
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