De l’autre côté de la frontière; le désert des rêves échoués.
Par Robert
Laplante
Nogales, ville de naissance du grand Charlie Mingus.
Nogales, ville à la frontière de
l’Arizona et de l’état mexicain de Sonora. Nogales, ville qui danse constamment
entre l’ombre et la lumière au gré de ses deux personnalités. L’Américaine avec
ses bars, ses boutiques de luxe, ses banques et la Mexicaine avec ses bars
louches, ses cantines, ses maisons de jeux, ses lupanars, sa violence et sa
corruption. Ce Nogales séduit beaucoup une certaine intelligentsia artistique,
politique et économique américaine qui y voit l’occasion de flirter avec leurs
ténèbres intérieures. Loin de la rectitude, des diktats du bon goût, des
regards inquisiteurs et des commérages des habitants de sa sœur jumelle
américaine.
Ce Nogales, qui a inspiré George Simenon pour Le
fond de la bouteille et possiblement Orson Welles pour Touch of Evil,
l’a aussi fait pour ; De l’autre côté de la frontière est un élégant polar
dessiné dans l’esprit des meilleurs films noirs américains de l’âge d’or du
genre signé Berthet et Fromental.
Après s’être
inspiré de Graham Greene et de son superbe 3e homme pour son
magnifique Coup de Prague, Fromental revisite un autre grand écrivain en
s’inspirant très librement de certains éléments marquants du séjour « arizonien »
du grand écrivain belge Simenon. Durant un an et des poussières, le père de
Maigret a sillonné les paysages désertiques et sauvages de la vallée de la
Santa Cruz et s’est laissé séduire par l’obscurité fascinante de Nogales, la
ville où les rêves se brisent.
Arizona,
1948, François Combe, écrivain français qui déambule en Amérique à la recherche
d’inspiration, s’installe avec sa femme, sa maîtresse, sa gouvernante et son gamin
dans la vallée de la Santa Cruz. Une étrange contrée aux promesses non tenues baignée
par la chaleur insoutenable et la rigueur d’un désert qui ne laisse aucune
chance aux faibles. Pour aider une connaissance, soupçonné du meurtre de prostituées
mexicaines, l’écrivain entreprend une enquête qui le mène dans les coins les
plus glauques du Nogales mexicain, là où l’herbe est plus rouge que chez le
voisin.
Comme Fromental m’avait ébloui avec son
magnifique Coup de Prague, j’attendais avec impatience le résultat de
cette collaboration avec Berthet, un bédéiste que j’adore. Même si : De
l’autre côté de la frontière n’a pas le même éclat que sa fabuleuse
variation sur le séjour viennois de Graham Greene, je dois reconnaître, m que
cette nouvelle bédé a de la gueule et qu’elle plait dès la première case.
Fromental est très à l’aise dans ce polar atmosphérique aux sonorités des lancinantes mélodies sorties de la guitare de Ry Cooder.
Bande dessinée hypnotique, peuplé
de perdants magnifiques, De l’autre côté de la frontière, se lit au
rythme de la chaleur suffocante, des effluves d’alcool et de sueur et de la poussière
qui imprègnent chaque rue et chaque édifice d’une ville frontière où le temps est
écrasé par ce soleil impitoyable.
Admirablement
servi par le trait de Berthet, peut-être le meilleur dessinateur pour
représenter cette époque de l’Amérique triomphante, De l’autre côté de la
frontière séduit subtilement par sa lenteur et sa musicalité. Un fascinant
polar mélancolique, triste comme un dialogue entre une slide guitar et un
harmonica.
Une bande
dessinée qui se déguste en douceur comme un album de Ry Cooder ou d’Explosion
in the Sky.
Une bédé
incontournable pour les amateurs de mythique Amérique du désert. Ce que je
suis.
Berthet,
Fromental, De l’autre côté de la frontière, Dargaud.
Commentaires
Publier un commentaire