La patrie des frères Werner, la trahison est un ballon rond.
Par Robert Laplante.
Il y a quelques jours le grand Diego Maradona
s’est
retiré pour de bon des terrains de foot d’ici-bas pour aller arpenter ceux des
grandes prairies éternelles. Là, où il pourra bénéficier encore une fois de
l’aide de Dieu et de sa main. Mais le foot ce n’est pas que les exploits de
Maradona, de Pelé, de Platini, de Messi, d’Eusébio et des autres artistes du
ballon rond. Le foot c’est aussi des anonymes qui vibrent à son rythme. Mais le
foot c’est surtout de fabuleux terrain pour d’impitoyables guerres symboliques
et idéologiques.
Le 22 juin 1974, l’impensable se produit. La RDA affronte la RFA à Hambourg lors de la 10e coupe du monde de Football.
Le match de la Guerre froide. Celui où les frères ennemis, issus du
dépeçage de l’Allemagne nazie, s’affrontent. Plus qu’une simple partie de foot,
cette rencontre est avant tout l’affrontement entre deux régimes politiques
diamétralement opposés. Une confrontation qui nous rappelle celle qui s’était
déroulée quelques années auparavant sur les patinoires canadiennes et
soviétiques.
Pour Erich Honecker le dirigeant de la RDA
l’occasion est trop belle pour enfin donner une crédibilité internationale à un
État considéré comme la création de Moscou. Mais si l’occasion est belle pour
Honecker, elle l’est aussi pour les joueurs de l’Allemagne orientale qui pourraient
avoir envie de jouer aux filles de l’air et de passer à l’Ouest. Il charge donc
l’inquiétante Stasi de surveiller les joueurs et les partisans afin d’empêcher les
évasions. Parmi ces agents il y a : Andréas Werner, physiothérapeute de
l’équipe nationale. Ce dernier va donc pouvoir renouer avec son frère ainé
Konrad depuis longtemps, agent infiltré en Allemagne de l’Ouest. Un frère,
qu’il n’a pas vu depuis plus 12 ans.
Pour les deux enfants-loups, ces orphelins de guerre
qui ont dû apprendre à survivre par eux-mêmes dans une Allemagne en plein chaos
de la reconstruction, les retrouvailles sont beaucoup moins agréables et
beaucoup plus tendues que prévu. D’autant plus qu’Andréas doute du régime
communiste et pense à fuir le paradis prolétarien. Alors que son frère, lui,
continue à croire fermement en son rôle de gardien de la révolution mondiale.
Ce match de foot n’opposera pas que la RDA à la RFA, il opposera aussi deux
frères qui ont traversé ensemble et survécu au nazisme, à l’occupation
soviétique et à la naissance de l’Allemagne communiste.
Tiré d’une histoire véridique La patrie des
frères Werner est une bédé haletante du début à la fin. Bon d’accord c’est
une tâche plus facile dans mon cas puisque j’adore les histoires qui ont comme cadre
la Guerre froide et cette Europe tiraillée par les idéologies. Encore plus quand
elles se déroulent en Allemagne un pays qui me fascine.
Parce que je ne surprendrais personne en affirmant
que la véritable héroïne de la bande dessinée de Philippe Colin et de Sébastien
Goethals est cette Allemagne déchirée. Cette Allemagne qui ne sait plus comment
réagir face à la présence de son double. Cette Allemagne qui craint l’autre
autant qu’elle l’ignore. Cette Allemagne qui n’a plus aucun contact, aucune
rencontre, aucune collaboration avec l’autre. Cet autre qui se nomme RDA ou RFA
dépendant du territoire où vous êtes nés.
Ce n’est pas la première fois que la bande dessinée se sert du foot pour nous parler de politique. Il y a quelques années, Ray et Galic avaient publié chez Dupuis une superbe bande dessinée sur la création de l’équipe nationale de foot d’Algérie.
Une Algérie qui était encore un
département français. La patrie des frères Werner se situe dans la même
lignée que ce Maillot pour l’Algérie. Une bande dessinée palpitante qui
raconte une épopée fascinante faite de peurs, de joies, de découvertes, de
trahisons. Une tragédie d’autant plus dramatique qu’elle met en scène deux
frères qui s’étaient toujours fait confiance, qui s’étaient élevés eux-mêmes et
n’avaient pu survivre que parce que l’autre était toujours là.
Si l’histoire se finit bien pour l’équipe de la RDA,
il ne sera pas de même pour les deux frères devenus des ennemis pour la vie. La
trahison laisse toujours des traces.
Point n’est besoin ici de parler des grandes
qualités scénaristiques et graphiques des auteurs. Avec un tel sujet, ils ne
pouvaient pas se planter. Ils avaient entre les mains les ingrédients pour
réussir une bande dessinée captivante. Ce qu’ils ont fait pour notre plus grand
plaisir.
Philippe Collin, Sébastien Goethals, La patrie
des frères Werner, Futuropolis.
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