9 603 kilomètres, la fuite vers l’enfer.

                                                               


 Par Robert Laplante

Nous fûmes secoués par les photos, nous montrant les cadavres du petit Syrien Aylan Kurdi et de son frère, noyés en tentant de rejoindre la Grèce, porte d’entrée de l’Europe. Cette Europe porteuse d’espoir d’une vie meilleure pour les damnés de la terre. Une vie peut-être pas parfaite, mais sans aucun doute meilleure que celle que leur proposait leur Syrie natale, déchirée depuis 2011 par une interminable guerre civile. Le martyr du petit bonhomme a rapidement fait le tour de l’Occident et est devenu le symbole du drame que vivent ceux qui un jour ont décidé de quitter la misère et la violence de leurs pays d’origine pour tenter de se refaire une nouvelle vie dans un Eldorado lointain.

Adil a 12 ans. Avec son cousin Shafi, âgé de 14 ans il fuit son Afghanistan pour échapper aux talibans qui voulaient en faire une bombe humaine. Pour les deux adolescents, un voyage sans retour commence au cœur de l’enfer. Le même enfer qu’ils voulaient fuir lorsqu’ils étaient chez eux. Parce que quelques fois le pays de Cocagne peut s’avérer cruel et décevant.

Bande dessinée troublante, cette odyssée des deux enfants se veut un récit poignant à hauteur d’adolescent. Celui de deux enfants qui vivent une situation difficilement imaginable pour les Occidentaux, tant elle est loin de notre réalité. 

Et même si le destin des deux cousins ressemble à ce qu’on a pu voir dans plusieurs reportages écrits ou télévisuels, il reste que le sort des réfugiés n’est souvent qu’une affaire de statistiques déshumanisées. Des statistiques qui alimentent les agendas idéologiques et politiques de certains organismes et de certains politiciens. Mais derrière ces chiffres on trouve des humains qui se sont vu confisquer leur humanité, qui n’ont pas souvent la parole. Une parole que nous devons leur redonner. Ce que fait : 9 603 kilomètres.

 

 

Mis en mot par Stéphane Marchetti et superbement illustré par Cyrille Pomès, 9 603 kilomètres est aussi une bande dessinée sur le courage, mais aussi les espoirs déçus. Une bande dessinée qui remet en question nos comportements et nos regards un peu froids, un peu insensibles. Ceux que nous portons ou que certains portent quelques fois sur eux pour toutes sortes de raisons.

Les auteurs, comme deux bons journalistes, suivent la traversée de ces deux adolescents en restituant ses moments les plus significatifs. Et c’est peut-être ce que je déplore le plus. J’avoue qu’à la conclusion j’étais insatisfait. J’avais l’impression qu’il me manquait des informations essentielles, que tout allait trop rapidement. J’aurais aimé que les auteurs fassent comme Fabien Toulmé. Dans L’Odyssée d’Hakim,

                                                        


il avait décidé que son histoire ne pouvait bien se raconter qu’en plusieurs volumes. Ce qui était à mon avis la seule stratégie possible pour nous faire vivre la détresse, les joies, les angoisses et les peurs de ces expatriés. Dommage parce qu’en adoptant la même méthode que Toulmé, Marchetti et Pomès auraient pu être encore plus efficaces.

J’aurais aussi aimé qu’on voie l’autre, ceux qui habitent les différents pays qu’ils traversent. Malheureusement, ils sont presque absents du récit. Et quand ils sont présents, le portrait qu’on en fait n’est pas toujours flatteur. Si Toulmé avait su éviter les pièges du manichéisme primaire, ce n’est pas le cas de nos deux auteurs.

Mais ces petits bémols ne doivent pas vous empêcher de lire cette bande dessinée. Une bédé de qualité qui donne un visage et une histoire à des gens qui ne sont pas que des statistiques.

Pomès, Marchetti, 9603 kilomètres, l’Odyssée de deux enfants. Futuropolis.

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