L’envoyé spécial : En direct du champ de bataille.
Robert
Laplante.
Je me
rappelle encore de l’onde de choc qu’a causé chez les admirateurs de l’école de
Marcinelle Charleroi l’annonce de la retraite de Raoul Cauvin en septembre 2013.
Qu’allait-il arriver aux nombreux personnages qu’il animât depuis ses débuts
discrets chez Dupuis en 1964 ? Mais une chance pour eux… et pour nous, le
scénariste a décidé de se retirer progressivement de la scène. Exactement comme
l’avait fait avant lui Van Hamme. 7 ans après sa décision c’est maintenant aux
Tuniques bleues, ses fameuses Tuniques bleues qu’il a créées avec Salverius en
1968, de se séparer de leur créateur.
Mais
attention, quand j’écris séparer ce n’est pas encore tout à fait le cas, puisqu’en
principe, c’est cette année qu’il fera son dernier tour de piste sur le terrain
de la guerre civile américaine. Avant la sortie de cette 64e
aventure des Tuniques bleues, Dupuis a toutefois décidé de confier, le temps
d’un album, Blutch et Chesterfield au duo de scénaristes : Beka et au
dessinateur Munuera.
Dès
l’annonce de ce nouvel album, les aficionados de la série se sont déchainés sur
les médias sociaux. Particulièrement à cause de la présence de Munuera, à qui
ils reprochent encore et toujours sa version « manga » de Spirou. Ce qui n’est
pas surprenant puisqu’à part Franquin aucun autre repreneur du célèbre groom ne
trouve grâce à leurs yeux.
Avis aux admirateurs
finis des Tuniques bleues, ce nouvel opus est très différent des sentiers
chevauchés par Cauvin et Lambil. Différent, parce que plus sombre et plus doux-amer
que ce que le duo nous proposait depuis toujours. Pas question ici d’une
franche rigolade à se taper sur les cuisses, de tonitruants éclats de rire,
d’humour presque potache. Non, L’envoyé spécial est une comédie
dramatique qui fait plus sourire que rire et qui n’exploite pas le côté «
slapstickien » auquel les deux bédéistes nous avaient habitués au fil des
albums.
Il faut dire
que l’intrigue permet d’explorer les chemins de la comédie dramatique. Chesterfield
et Blutch doivent escorter William Howard Russel sur le théâtre des opérations.
Russel est un journaliste envoyé en 1861 par le Times de Londres pour
faire un reportage sur le conflit qui déchire les États-Unis. Considéré comme
le premier correspondant de guerre l’homme, qui avait couvert la tristement
célèbre charge de la brigade légère et dénoncée l’incompétence et l’arrogance
de l’État-Major et des politiciens britanniques lors de la Guerre de Crimée,
devient vite le trouble-fête par excellence. Il faut dire qu’en étalant
l’incompétence crasse et l’insensibilité meurtrière des gradés des deux côtés
dans son quotidien le scribouillard de talent était unanimement détesté par les
belligérants.
Le théâtre est donc parfait pour nous donner une vision sanglante, dramatique et absurde de la Guerre de Sécession. Une vision qui m’a beaucoup fait penser à la scène du pont du magnifique Le bon, la brute et le truand de Sergio Leone. Il ne manquait que la trompette d’Il Forte, de Morricone
pour que je me
retrouve directement dans ce film.
Si le
scénario, qui n’est pas exempt de faiblesses, est intéressant, c’est le dessin
de Munuera qui m’a le plus réjoui. En décidant de ne pas faire du Lambil, en
réinterprétant ses personnages, en choisissant une mise en page plus aérée et
dynamique, en restant Munuera quoi, le dessinateur espagnol a offert aux
Tuniques bleues une touche d’humanité moins présente chez Lambil. Comme si sous
sa plume Blutch et Chesterfield quittaient le monde des héros de papier pour
rejoindre celui des vivants.
Une relecture
intéressante de ces deux personnages mythiques de la BD franco-belge.
BeKa,
Munuera, d’après les personnages de Cauvin, Salverius et Lambil, L’envoyé spécial.
Dupuis.
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