Mohamed Ali, Kinshasa, 1974, photographier le mythe.
Par Robert
Laplante
Le 30
octobre 1974 à Kinshasa, dans le Zaïre de Mobutu Sese Seko en quête de
crédibilité internationale et en pleine période de zaïrisation, deux titans se
sont affrontés. Deux gladiateurs qui espéraient entrer dans la légende : George
Foreman, Big George, champion mondial des poids lourds et Mohamed Ali, The
Greatest Of All Times, inspiration pour tous les ignorés et les déshérités de
la planète, qui tentait de récupérer sa couronne. Le 30 octobre 1974, une
légende s’écrivait devant les yeux du monde entier.
On ne compte plus les livres, les films, les documentaires, les articles de journaux, les reportages, les analyses savantes et les émissions de radio et de télévision qui à l’instar de When We Were King
et Ali
ont traité de cette fameuse rencontre. Et on comprend pourquoi. Rumble in the Jungle,
dépassait de loin le domaine du sport. Pas étonnant que cette rencontre ait nourri autant l’imagination des créateurs de symbolisme.
Jean-David
Morvan est un de ces créateurs de symbolisme. Scénariste prolifique de bande
dessinée, Morvan s’intéresse depuis quelques années aux photographes
légendaires de l’agence Magnum, une agence qui a fait sa marque dans le domaine
du photojournalisme. À partir de leurs clichés, les plus célèbres Morvan
racontent l’histoire derrière. La petite histoire qui rencontre la grande
Histoire quoi ! Après Capa et Cartier-Bresson il était alors évident qu’il
allait un jour se frotter à Abbas un des grands photojournalistes de la seconde
moitié du XXe siècle. Un de ceux qui ont immortalisé sur pellicule cette
mythique confrontation entre deux géants d’Amérique revenus sur la terre de
leurs ancêtres.
Et ce n’est
pas seulement parce qu’il y a assisté que les photographies d’Abbas sont
particulièrement intéressantes. Non, c’est surtout parce qu’il a su inscrire
dans ses clichés le parfum du symbolisme et l’essence de mythologie qui se
dégageaient des furieux assauts des deux boxeurs. Les clichés d’Abbas ne sont
pas que des photos elles sont aussi : « une réflexion qui se concrétise
dans l’action et aboutit à une méditation. La spontanéité — le moment suspendu
— intervient pendant l’action, à la prise de vue. Une réflexion sur le propos
la précède. Une méditation sur la finalité la suit. C’est là, pendant ce moment
exaltant et fragile, que s’élabore la véritable écriture photographique :
la mise en séquence des photos. Le souffle de l’écrivain est alors nécessaire à
cette entreprise. Le photographe, n’est-il pas celui qui « écrit avec la
lumière » ? Mais à la différence de l’écrivain qui possède son verbe, le
photographe est, lui, possédé par sa photo, par la limite du réel qu’il doit
transcender pour ne pas en devenir prisonnier » comme il le disait
lui-même.
Et ça,
Morvan et Ortiz, son excellent dessinateur, l’ont très bien compris. Mohamed
Ali, Kinshasa, 1974, n’est pas que la relecture d’un combat à travers l’objectif,
c’est aussi la naissance d’un mythe, l’instantané d’une légende qui se créer sous
nos yeux et qui nous habite depuis. En intégrant le travail du photographe, en
métissant adroitement les biographies des protagonistes, nécessaires à la bonne
contextualisation du récit, aux attaques impitoyables des deux célébrants du
noble art le duo propose une BD aussi passionnante qu’émotive, tout en action,
en finesse et en symbolisme.
Si Morvan m’avait
séduit avec ses bédés sur Robert Capa et Henri Cartier-Bresson, il m’a
impressionné avec ce Mohamed Ali, Kinshasa, 1974 et m’a fait redécouvrir
un photojournaliste que je connaissais moins : Abbas celui qui a su
emprisonner sur la pellicule des parcelles d’une légende qui se construit.
Parce que
quelques fois le sport est beaucoup plus que ce qu’on peut imaginer.
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