La bête : L’énigme jaune
Par Robert
Laplante
On connait tous le Marsupilami, cette sympathique créature imaginée par André Franquin en 1952 pour Spirou et les héritiers.
Depuis, il est apparu dans plusieurs autres aventures de célèbre groom, il a eu ses propres albums, des dessins animés télévisés
, un film, des produits dérivés, des peluches, des murales, des statues et même des chansons composées en son honneur.
Bref en 1952 Franquin était
loin d’imaginer qu’il venait de mettre au monde un des personnages les plus
emblématiques et les plus populaires du 9e art.
Et si
quelques fois il est devenu un mignon personnage destiné à un public de
petiots, il nous réserve encore de belles surprises. Surtout quand il est entre
les mains des meilleurs créateurs du 9e art qui lui font explorer des
territoires que sa queue démesurément longue n’a pas encore foulé. C’est
manifestement le cas de Zidrou et de Frank Pé qui viennent de publier chez
Dupuis : La bête, une bande dessinée tout simplement renversante.
Anvers,
quelque part dans les années 50. Dans le port de cette majestueuse ville
flamande accostent un bateau et sa cargaison d’animaux exotiques. Parmi ces
animaux mal traités, moribonds, arrachés à leur environnement et traumatisés,
il y a cet étrange singe jaune tacheté de noir à l’interminable queue. Un
spécimen inconnu qui s’échappe de cet enfer dès qu’il en trouve la force.
Commence alors pour celui qu’on connaitra plus tard sous le nom du Marsupilami
une fuite vers la liberté dans un monde qu’il ne connait pas et qu’il ne
comprend pas. Mais parfois dans les évasions on rencontre des alliés. Des
alliés comme François, un gamin belge fruit d’un amour entre une Belge et un
Allemand, à l’époque où les nazis occupaient le plat pays de Léopold III.
Bande dessinée
exceptionnelle : La bête est une magnifique relecture réaliste de
la créature de Franquin. Mais c’est aussi un vibrant hommage à l’âge d’or de
l’école de Marcinelle Charleroi. Cet âge d’or qui a nourri mon imaginaire,
comme il l’a fait pour tant de lecteurs de bd franco-belge, et qui, encore
aujourd’hui, est une référence incontournable.
Dès la
première case Zidrou, installe un climat sombre et désespéré dans une Belgique ravagée
par la pluie, par les cicatrices physiques, psychologiques, économiques et sociales
de l’occupation et par le poison de la méchanceté déversé par certains Belges
qui s’imaginent plus vertueux qu’ils ne le sont véritablement. Une atmosphère
parfaite pour cette histoire pleine de poésie brute.
Zidrou
propose un scénario bouleversant qui nous scotche littéralement sur notre siège.
Il donne à Marsu une profondeur psychologique qui me semblait moins présente
dans ses autres aventures. Comme si soudainement il quittait son rôle de mignonne
peluche pour acquérir une humanité.
Mais je ne
sais pas si la grande intelligence émotive du scénario de Zidrou aurait été
aussi éclatante si elle avait été mise sur papier par un dessinateur autre que
Frank Pé. Parce qu’il faut bien le dire, le bédéiste, qui est aussi un
merveilleux dessinateur animalier, traduit parfaitement l’émotion qui se dégage
des mots du scénariste. Et c’est sans compter sur son trait sensible et sa
judicieuse utilisation des couleurs qui nous font ressentir l’humidité de cette
drache belge jusque dans la moelle de nos os, qui nous font humer les odeurs
viciées d’une Belgique coincée entre deux mondes. Un, agonisant depuis la fin
du nazisme. L’autre, naissant et que sera totalement différent.
Avec la
touche de Frank Pé, La bête prend presque des airs de néoréalisme italien,
pour ceux qui se rappellent de ce courant cinématographique marquant de
l’Italie d’après-guerre.
Et les
petits clins d’œil aux créateurs mythiques des belles années du Journal de
Spirou, Tillieux, Delporte et autres Franquin ne peuvent que nous réjouir
et rendre La bête encore plus attachante.
J’adore ces
reprises ou on permet de jouer avec ces grands personnages du 9e art.
J’adore quand on les retrouve dans un environnement où on s’amuse à les réinventer.
Le duo qui m’avait impressionné avec La lumière de Bornéo, leur interprétation
de Spirou, m’a complètement renversé avec La bête. À vrai dire, ils m’ont
même tiré une larme.
Une bande
dessinée que je suis très heureux d’avoir lu.
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