A Fake Story: le miroir aux alouettes

 

                                                               


 Par Robert Laplante

 En 1978, l’Office national du film lance L’affaire Bronswick, un fabuleux « documenteur » signé Robert Awad, André Leduc et Tim Reid. 

                                         


23 minutes et 39 secondes de canulars, de demi-vérités, de supposés témoignages authentiques, d’explications fumeuses et pseudo-scientifiques et de légendes urbaines sur le mariage intéressé entre la télévision, la science et la publicité. Je ne compte plus les gens qui y croyaient dur comme fer et cela, même, plusieurs années après la divulgation publique du canular. C’est exactement ce que font Jean-Denis Pendanx et Laurent Galandon dans A Fake Story, une bande dessinée réjouissante publiée chez Futuropolis.


                                                   


 

30 octobre 1938, Orson Welles et son Mercury Theater proposent aux auditeurs de CBS une adaptation radiophonique de La guerre des mondes d’H.G. Wells. Pour rendre son histoire plus crédible, le jeune prodige raconte l’invasion martienne comme pourrait le faire une salle de nouvelles. À coup de flashs d’informations, qui sont de plus en plus rapprochés, Welles et sa troupe décrivent comme le feraient les reporters les différents théâtres de cette invasion. Ce que Welles n’avait pas prévu c’était l’hystérie populaire que provoquerait son émission.  La rumeur soutient qu’il y aurait même eu des meurtres et des suicides. Sans le savoir, enfin j’imagine, le futur réalisateur de Citizen Kane venait de réussir le canular parfait. Celui qui allait devenir le modèle et qui continue de fasciner autant, 83 ans après sa diffusion.


                                              


Douglas Burroughs journaliste désabusé de ce que le métier est devenu et écrivain en panne d’inspiration est mandaté par la CBS, quelques jours après l’évènement, pour faire la lumière sur ces rumeurs. Avec l’aide de la police d’Heathcoke, il interroge les témoins à la recherche de la vérité. Burroughs en tirera un bouquin A Fake Story qui n’eut pas vraiment de succès et qui sera vite oublié.

Triste destin pour une enquête aussi importante.  Pathétique destin pour un livre qui voulait déconstruire le canular des canulars. Encore une fois la légende occultait la vérité.

Mais peut-être pas tant que ça. Et si l’enquête de Burroughs n’avait jamais existé ? Pire encore, et si Burroughs lui-même n’avait jamais existé ? Et si tout ça n’était qu’un canular sur un canular ? De quoi perdre son latin, pour ceux qui le parle bien sûr.

C’est exactement ce que proposent avec un plaisir jouissif et un talent fou Laurent Galandon et Jean-Denis Pendanx. Tout comme les réalisateurs de l’Affaire Bronswik, tout comme William Karel et son fameux « documenteur » : Opération Lune, les auteurs assemblent avec la précision d’un génial horloger fou la difficile mécanique du canular d’exception, métissant aussi subtilement qu’efficacement les faits réels, la fiction, la légende urbaine et les hypothèses possibles. Le tout saupoudré du soupçon de la plausibilité nécessaire pour que la recette soit parfaite.

Avec le résultat qu’on se promène constamment sur le mince fil qui sépare la vérité de la vérité alternative, la cachée. Celle qui réconforte parce qu’elle est plus attirante que l’autre. Celle qui peut nous faire basculer imperceptiblement dans les délires conspirationnistes.

Comme Sherlock Holmes, Colombo, Wallander ou Dana Scully, Burroughs ne laisse rien passer ni les incohérences des témoins ni les trous des témoignages. Avec patience, il explore toutes les pistes et n’oublie jamais les grandes leçons du principe du rasoir d’Ockham. Sa posture analytique et objectivité combinée à son enquête méticuleuse donne un parfum d’authenticité à l’histoire que nous racontent les deux auteurs.

Même si on sait depuis longtemps que la pagaille autour de La Guerre des Mondes a été exagérée par les journaux qui voyaient d’un mauvais œil la popularité grandissante de la radio, Laurent Galandon, appuyé par le trait efficace de Jean-Denis Pendanx, réussit à semer le doute raisonnable, cet horrible et angoissant « et si c’était vrai,  », en racontant cette fausse d’enquête d’un faux journaliste sur la fausse panique d’une véritable adaptation radiophonique.  Et, ne serait-ce que pour ça il faut saluer le brio du tandem.

Imaginez si Welles avait pu compter sur les médias sociaux. Hum  !je n’ose même pas l’imaginer… je laisse ça aux conteurs talentueux comme Galandon et Pendanx.

Jean-Denis Pendanx, Laurent Galandon. A Fake Story, Futuropolis.

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