Lambil : derrière la tunique bleue
Par Robert Laplante
La nouvelle de l’état de santé de Raoul Cauvin,
qui se détériore, en a surpris plus d’un. Soudainement
j’ai pris conscience que celui qui m’avait tant fait rire allait bientôt nous quitter,
emportant avec lui des morceaux de ma jeunesse, quand je me jetais
littéralement sur les nouveaux albums des Tuniques bleues et de Pauvre Lampil. Mais les Tuniques bleues
ce n’est pas que Cauvin, c’est aussi le dessinateur Willy Lambillotte dit Lambil. Lambil qui a su, avec son trait efficace et
précis, traduire sur papier les idées hilarantes du scénariste aux mille
séries.
Si Cauvin
nous est un peu plus connu, grâce à la longue entrevue qu’il a donnée à Patrick
Gaumer, Lambil lui reste un peu plus mystérieux. On l’imagine angoissé,
grognon, rancunier, impulsif, pessimiste et cynique, exactement comme Cauvin
l’a peint dans les irrésistibles gags de Pauvre Lampil.
Mais
peut-être que Lambil et Cauvin, tout comme Victor Frankenstein, ont créé une
créature qu’ils n’ont pas pu contrôler. Peut-être que Lambil n’est pas du tout
à l’image de cette caricature sympathique, mais réductrice. C’est bien possible
puisque le dessinateur s’est peu livré aux journalistes.
C’est peut-être
pour remédier à cette méconnaissance que Christelle et Bertrand
Pissavy-Yvernault ont rédigé Lambil, une vie avec les Tuniques bleues,
un long entretien avec le célèbre dessinateur qui vient de fêter ses 85 ans. De
2016 à 2019 les deux auteurs, à qui on doit, entre autres, de fabuleux bouquins
sur l’histoire du beau Journal de Spirou et une passionnante entrevue-fleuve
avec l’incontournable Yvan Delporte, l’ont rencontré pour parler de son
parcours, de son œuvre, de ses influences et sur la bande dessinée en général.
Parce qu’il
faut le reconnaitre, Lambil a une personnalité et un parcours d’une richesse
incroyable. Un parcours et une richesse que les deux auteurs mettent en
évidence grâce à leurs intéressantes questions et à leur montage rythmé qui
nous donne l’impression d’assister à leurs rencontres. En parcourant goulument les
pages du livre, j’avais l’impression que le tandem posait précisément les
questions que je voulais lui poser lorsque je l’ai interviewé il y a plusieurs
années dans une librairie montréalaise.
Avec une
franchise désarmante, le bédéiste accepte de se prêter au jeu de la confidence
et de se livrer, mais avec sa retenue légendaire, sur tout. Même sur son long,
très long, trop long froid avec Cauvin, même sur les effets dévastateurs que
cela a eu sa confiance : Pauvre Lampil. N’oublions pas que nombre de
lecteurs, dont moi, ont fini par l’assimiler à son alter ego de papier.
Longtemps
snobé par une certaine élite « bédéesque et bédéphile », Lambil est maintenant
célébré par des dessinateurs provenant de différents horizons et de différentes
écoles, Larcenet, Schwartz, Bodart et Blutch ont tous souligné l’importance de
ce maitre de la bande dessinée populaire présent dans les pages de Spirou depuis
les années 50.
Avec le
résultat que le Lambil qui apparait devant nous est différent de celui qu’on
avait imaginé, à la fois proche et loin de cette caricature « cauvinienne ». Il
en ressort un dessinateur complexe, « orgueilleux et humble, paranoïaque et détaché,
volontaire et miné par le doute quant à ses capacités, ironique et naïf »
comme l’écrit si bien le bédéiste Blutch qui signe la préface.
Un
incontournable qu’on peut et qu’on doit lire en même temps que le Cauvin de
Patrick Gaumer.
Christelle et Bertrand
Pissavy-Yvernault, Lambil une vie avec les Tuniques bleues, Dupuis.
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