Le voyage de Marcel Grob : Du mauvais côté de l’histoire

                                                                          


  Par Robert Laplante

Dans quelques jours, dimanche plus précisément, nous commémorerons le débarquement de Normandie, cette entreprise gigantesque - il faut visiter les plages de Normandie pour bien saisir l’ampleur et les difficultés titanesques de cette opération - qui sonnera le début de la fin pour le Troisième Reich.  

                                                              


Mais une guerre, ça se gagne pouce par pouce et le monstre nazi trouvera d’ici sa défaite en 1945 bien des occasions de démontrer tous les visages de son impitoyable cruauté, n’hésitant ni à massacrer des villages au complet ni à embrigader dans son armée des jeunes hommes issus des territoires occupés ou de ses alliées.

Marcel Grob est un de ces jeunes hommes. Le 27 juin 1944, à peine âgé de 17 ans, il est enrôlé de force, sous peine de voir ses parents enfermés dans des camps, dans une unité SS.  Alors que les batailles font rage en Normandie.  Grob vient grossir les rangs des « Malgré-nous » ces Alsaciens et ces mosellans incorporés de force ou non dans la Wehrmacht ou dans la Waffen-SS.

Envoyé en Italie, Grob participera au massacre, le mot est faible, de Marzabotto, de Monzuno et de Grizzana Morand, villages d’Émilie-Romagne près de Bologne. Du 29 septembre au 5 octobre 1944, entre 955 à 1839 villageois, dont 45 bambins de moins de 2 ans, 110 enfants de moins de 10 ans, 95 de moins de 16 ans. 142 hommes de plus de 60 ans, 316 femmes et 5 prêtres ont été victimes de la sauvagerie meurtrière des SS.

C’est cette histoire que racontent Philippe Collin et Sébastien Goethals dans le troublant Voyage de Marcel Grob. Auréolée du prix Historia 2019, et de celui des Lycées Angoulême 2020 la bande dessinée se consacre à la question sensible, et moins connue ici, des « Malgré-nous. »

                                                


Premier scénario bédé de l’auteur et homme de radio Philippe Collin, dont j’avais beaucoup apprécié l’an dernier La Patrie des frères Werner, Le voyage de Marcel Grob est une belle surprise.

Même si certains critiques lui ont reproché d’aborder des thèmes déjà mille fois vus - « un énième volume sur la Seconde Guerre mondiale, certes fidèle, mais dont on ne peut pas dire qu’il apporte quoi que ce soit de supplémentaire à l’immense littérature déjà existante » écrit le critique Mathieu Pequignot sur le site spécialisé BoDoï - Le voyage de Marcel Grob a eu pour moi l’effet d’un coup de poing.

Peut-être, parce la question des « Malgré-nous » m’intéresse depuis qu’une connaissance m’avait recommandé au début des années 90 : Le soldat oublié de Guy Sajer.

                                                          


 Sajer, connu sur la planète bédé sous les pseudonymes de Dimitri et de Guy Mouminoux, raconte dans ce récit autobiographique ses souvenirs du Front de l’Est. Adolescent alsacien, de mère Allemande et de père Français, il s’était porté volontaire pour rejoindre l’armée allemande. 


                                  


Avec intelligence et nuance, parce que rien n’est aussi simple qu’on le pense à première vue, Collin traite de la situation de ces presque parias, rejetés autant pas leur pays d’origine et leurs alliés, qui ne savent pas trop quoi en faire, que par les occupants qui se méfient d’eux, les méprisent et s’en servent comme chair à canon. Pris dans un véritable nœud gordien : les « Malgré-nous » n’ont aucune porte de sortie, ni du côté des nouveaux vainqueurs, ni du côté de ceux qui l’étaient avec le débarquement du 6 juin.

Appuyé par l’efficace trait de Sébastien Goethals : Le voyage de Marcel Grob lève à son tour le voile sur une situation complexe qui ne s’explique pas aussi facilement que les visions manichéennes et simplistes aimeraient le faire.

Peut-être que Mathieu Pequignot a raison après tout et qu’il s’agit d’une autre sempiternelle bande dessinée sur la Seconde Guerre mondiale.  Mais pour ma part ce n’est pas le cas. En humanisant, les « Malgré nous, » en abordant la question à hauteur d’homme, la bédé nous rappelle que rien n’est ni noir, ni blanc, mais résolument gris. Un gris aux mille nuances.

Ne serait-ce que pour nous sensibiliser à l’inconfortable et insoutenable situation des « Malgré-nous » Le voyage de Marcel Grob mérite le détour. Surtout à quelques jours du Jour J.

Philippe Collin, Sébastien Goethals, Le voyage de Marcel Grob, Futuropolis.

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