Lisa et Mohamed, les secrets qui tuent.
Par Robert Laplante
Il y a
quelques semaines nous avons parlé du Voyage de Marcel Grob et des «
Malgré-nous, » ces Alsaciens et ces mosellans incorporés de force ou non dans
la Wehrmacht ou dans la Waffen-SS. Cette semaine nous abordons les harkis, ces
Algériens engagés, pour toutes sortes de raisons, comme supplétif à l’armée
française lors de la guerre d’Algérie (1954-1962.)
Abandonnés
par la France, qui malgré ses promesses ne les rapatrie que partiellement, honnis
par le gouvernement de la nouvelle Algérie indépendante, qui les considère
comme des traitres, les harkis se retrouvent projetés dans les limbes de
l’histoire. Près de 100 000 d’entre eux, selon les historiens, auraient été
exécutés ou assassinés, autant en Algérie qu’en France, dans les années qui
suivirent les accords de paix.
Paris, juin
2000. Lisa, étudiante, loue une chambre chez le vieux Mohamed. Mohamed est
veuf, bourru et surtout très secret. L’homme parle peu de lui, de son parcours
et encore moins de l’Algérie. Lisa, qui rêve de devenir journaliste, découvre
par hasard sous le bureau de travail de la défunte épouse de Mohamed des enregistrements
sonores. Des enregistrements où Mohamed confie sans pudeur, sans mensonges,
sans faux-fuyants son passé d’harki et les répercussions et les traumatismes de
son choix sur sa famille et sur lui. Commence alors pour Mohamed une longue et
déchirante renaissance qui l’amènera à faire la paix avec ce passé secret qui
continue de le hanter.
Bande
dessinée signée Julien Frey et Mayalen Goust, Lisa et Mohamed, une
étudiante, un harki, un secret est le genre de bande dessinée que j’adore.
Intelligente, pleine d’émotions et de nuances, séduisante autant par le sujet,
que par la structure narrative, le trait délicat et retenu et l’utilisation
judicieuse des couleurs.
Il faut dire
que je ne suis pas Français. Par conséquent l’histoire des harkis m’est
beaucoup moins familière qu’elle ne l’est pour les habitants de l’Hexagone.
Même si je connais les grandes lignes de la guerre d’Algérie, je ne connaissais
pas vraiment celle des harkis. À part quelques échos entendus ici et là. La
bédé de Frey et Goust m’a donc permis de me familiariser avec une situation
compliquée, qu’on ne peut pas traiter de façon manichéenne. Tout comme l’est
celle des « Malgré-nous. »
Et c’est
justement cette absence de manichéisme, cette plongée dans les nuances qui est
la force de Lisa et Mohamed. Il n’est pas question ici d’une
distribution de jugements à l’emporte-pièce. Au contraire, Frey aborde
subtilement le phénomène. Il ne cherche ni à blâmer, ni à exonérer les harkis,
mais à comprendre ce qui les a amenés à prendre l’insoutenable position de ceux
qui seront autant détesté des Français que des Algériens.
Et Frey ne pouvait rêver de meilleur allié
pour traduire cette exploration nuancée que Mayalen Goust. La dessinatrice
trouve toujours le bon ton pour illustrer son scénario. Il est évident que sans
son graphisme empreint d’une douce amertume mélancolique le drame de Mohamed,
sa difficile paix avec son passé et sa renaissance, grâce à la présence et à
l’écoute de Lisa, n’aurait pas eu la même force d’évocation.
En nous
racontant le quotidien d’un harki, sans prendre parti, en travaillant comme des
reporters qui témoignent sobrement de sa réalité, en ne passant pas sous
silence ses zones d’ombres et de lumières, en évitant les jugements aussi intempestifs
qu’impitoyables sur cette situation complexe, les auteurs font œuvre utile pour
rétablir la mémoire de ceux que les différents belligérants de la guerre
d’Algérie aimeraient oublier et rayer de la grande histoire.
Une belle
surprise.
Julien Frey,
Mayalen Goust, Lisa et Mohamed, Une étudiante, un harki, un secret,
Futuropolis.
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