Contrapaso : Les voleurs d’anges

 

                                                                  


 

Par Robert Laplante

 

Jusqu’au début de la semaine je croyais avoir trouvé LA bande dessinée de l’été 2021 : Mademoiselle Baudelaire de Yslaire. La magnifique bande dessinée du créateur de Sambre racontait la vie du célèbre poète et son orageuse relation amoureuse avec sa muse Jeanne Duval.

Mais ça, c’était avant ma lecture de Contrapaso de Teresa Valero, un incroyable polar dessiné qui se passe dans l’Espagne de Franco. Et tout comme Mademoiselle Baudelaire, Contrapaso est une véritable leçon de bande dessinée doublée d’un polar haletant et d’un portrait acide d’une société déchirée, prête à exploser. Une marmite tellement chaude que même le couvercle plaqué par la dictature franquiste a de la difficulté à contenir l’ébullition.

Madrid 1956, la dictature franquiste n’a jamais été aussi contrôlante et étouffante. Mais même si le bras du caudillo contrôle les médias et leurs messages, certains journalistes continuent de s’intéresser à tout ce que veut occulter le régime. Des journalistes comme Sanz, un vétéran désabusé du fait divers et ancien phalangiste ou son jeune collègue Leon Lenoir, neveu d’un général prestigieux.

La découverte d’une suicidée amène le duo de scribouillards au cœur d’une diabolique conspiration qui mêle trafic d’enfants, internements psychiatriques forcés, féminicides et eugénisme. Un cocktail scandaleux qui pourrait éclabousser des membres de l’élite médicale de la société espagnole. Mais dans l’Espagne conservatrice de Franco, les secrets sont bien cachés, les langues ne se délient pas facilement et l’innommable est tolérable quand il repose sous une chape de silence. 

Bande dessinée à couper le souffle, Contrapaso est une plongée vertigineuse dans l’Espagne des années 50. Une période charnière où le dictateur sous la pression des Américains, qui voient en lui un allié contre le communisme, accepte de se distancer de ses idéaux fascistes et de lâcher un peu, mais vraiment un tout petit peu, de lest aux Espagnols. Il faut dire que l’aide financière de l’Oncle Sam est un argument convaincant pour un régime qui a bien besoin de se moderniser.


                                        


Et cette lutte contre le communisme est au cœur de la bande dessinée de Valero. Tout comme la gangrène qui ronge la société espagnole. Le tout, sur fond d’une guerre civile, qui ne s’est jamais vraiment terminée, d’une paix de convenance et de blessures à peine cicatrisées qui peuvent se rouvrir à tout moment. 

Polar d’exception : Contrapaso m’a fait penser aux polars d’Hennick Mankell et de Phillip Kerr. Comme dans les romans de ces deux grands auteurs l’enquête minutieuse des deux journalistes permet à l’autrice de prendre un polaroïd d’une société totalitaire et conservatrice, qui s’effrite, étouffée par ses silences et ses mensonges.

                                       


Superbement illustrée Contrapaso est certes une bande dessinée costaude et sombre, une descente hallucinante au cœur de la psyché d’une dictature, mais aussi et surtout une lecture fascinante et essentielle. Une bande dessinée qui nous hante longtemps. Tout comme ces femmes assassinées par un tueur en série inconnue qui hantent Sanz depuis toujours.

 Vous ne pouvez pas, et vous ne devez pas passer à côté de cette grande œuvre troublante..

Teresa Valero, Contrapaso, tome 1 Les enfants des autres. Dupuis.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Les bandes dessinées de l’année 2023

Du grand Ken Follett

Les coups de coeur de l’année 2023