Louisiana : Comme une pierre qui roule
Par Robert Laplante
La Louisiane
est un décor fabuleux pour camper une saga familiale qui s’entend sur plusieurs
générations. C’est que dans ce territoire se côtoient, se métissent, s’ignorent
et se méprisent Américains, Français, Cajuns et esclaves noirs. Un théâtre
idéal pour une tragédie parentale où se déchainent les aspects les plus sombres
et les plus lumineux de la cohabitation familiale. Colonie française, vendue pour
15 millions de dollars et des poussières aux jeunes États-Unis d’Amérique en
1803, la Louisiane est une terre de démesure où les passions, exacerbées par
ses bayous, son humidité à couper au couteau, sa chaleur excessive et ses
parfums de magnolias, se rencontrent et s’affrontent.
Bon, ce
n’est peut-être pas le cas pour le véritable État du Pélican mais assurément c’est
celui de la Louisiane de la trilogie Louisiana, la couleur du sang
signée Léa Chrétien et Gontran Toussaint.
Nouvelle-Orléans :
1961. Louise Soral, descendante d’une famille de planteurs louisianais, n’en a
plus pour longtemps. Avant de quitter cette vallée de larmes, elle décide de
mettre la véritable histoire de sa famille sur papier. Une histoire moins
glorieuse que celle qu’elle a toujours racontée à ses petits-enfants. Une
histoire pleine de sombres secrets trop longtemps occultés. Une histoire remplie
de silences. De ces silences qu’on chuchote la nuit quand il fait noir et que
le bourbon délie les langues les plus méfiantes.
Grande saga
familiale qui se déroule sur près d’un siècle, Louisiana est une bande
dessinée sympathique qui allie un scénario solide et haletant, même s’il est un
peu prévisible. Du dessin efficace à la manière Blueberry » aux d’imposants personnages plus grands que
nature, avec une ambiance de moiteur, de sueur et de poussière dont seul le
vieux sud à le secret.
Léa Chrétien
tisse une histoire bien ficelée et respectueuse des codes du genre. La
scénariste nous entraine sur les sentiers les plus inavouables de la société française
louisianaise à l’aube de la guerre civile.
Baignée par les
brumes de la magie noire, du vaudou, du hoodoo et des incantations de Marie Lavaux,
la grande prêtresse vaudou qui ne semble jamais vieillir, Louisiana est
une bande dessinée d’espoirs déçus, de malédiction, de déchéance et de fureur.
Un portrait saisissant d’une société en perdition enfermée dans les palais dorés
de ses convictions, de ses mensonges, de ses croyances, ainsi que de sa pseudo
pureté blanche, sourde aux bruits d’un monde qui s’écroule.
Joséphine
tout comme le Prospéro du Masque de la mort rouge de Poe, tente de se soustraire
de ce monde qui menace de s’effondrer et d’emporter avec lui les cendres de
l’univers fantasmé qu’elle s’était créé. Mais on le sait, comme Prospéro l’a
appris aussi, aucun mur, même celui qu’on s’érige mentalement, ne peut nous protéger
quand frappe le vent de la destruction.
Pas facile
pour Joséphine de voir tout ce à quoi elle a toujours cru, de voir tous ceux en
qui elle avait confiance, de voir tout ce qui la protégeait dans son petit coin
de paradis isolé, s’effondrer dans la fange des espoirs déçut. Pas facile pour
Joséphine de réagir devant une vie qu’elle ne contrôle plus, de voir ses
proches la décevoir et de prendre des décisions qui auront des conséquences
qu’elle n’avait pas imaginées. Pas facile pour Joséphine de vouloir régir la
vie de ses proches, de vouloir les protéger au risque de s’aliéner ceux que
l’on croyait aider. Pas facile pour Joséphine d’assister impuissante à la mort
de son monde et à sa propre fin.
How does it feel, how does it feel? /To be
without a home/Like a complete unknown, like a rolling stone
chantait Bob Dylan dans Like a Rolling Stone. Et à bien y penser Joséphine aurait
pu la chanter aussi en regardant son monde disparaitre.
Une belle découverte.
Léa Chrétien, Gontran Toussaint, Louisiana
la couleur du sang 2 tomes, Dargaud.
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