Malgré tout, le parfum du bonheur à rebours

 

                                                                    


 Par Robert Laplante

Ce que j’aime le plus quand je flâne sans but précis dans ma librairie préférée, c’est quand François le libraire me met entre les mains une BD qu’il a lue et qu’il sait qu’elle va me plaire. C’est toujours un moment excitant que de découvrir, grâce à lui, une livre qui nous attendait. Alors quand il m’a recommandé Malgré tout de Jordi Lafebre je lui ai fait confiance. Après tout il s’est rarement trompé dans ses recommandations. Encore une fois, ce diable de libraire qu’est François eut raison. Malgré tout, est une chaleureuse bande dessinée aussi intelligente que revigorante, un véritable petit bijou ciselé par un orfèvre de grand talent et un conteur hors pair. Certes ce n’est pas une nouveauté, mais on n’a pas le droit de passer à côté.

Bande dessinée ante chronologique, Malgré tout raconte, si on peut la raconter, l’histoire d’amour entre Zeno et Anita. Lui, est libraire, marin/doctorant qui élabore une théorie sur la possibilité de faire des voyages dans le passé. Elle, elle est la mairesse d’une commune de moyenne taille. Les deux sont amoureux depuis trente ans. Un amour, hélas impossible, puisqu’Anita est déjà mariée. Et puis de toute façon Zeno est terriblement occupé par sa librairie, ses voyages sur les sept mers et sa théorie sur le temps qui recule. Une tragique histoire d’amour pleine de rendez-vous manqués et d’opportunités ratées. Comme si le destin s’amusait à tester la force de leur amour. Mais quelques fois la destinée se lasse elle aussi et laisse Dieu réunir ceux qui s’aiment comme le dit si bien la chanson.

                                            


Longtemps collaborateur de Zidrou, Jordi Labebre signe ici sa première BD en solo. Et comme premier galop c’est plutôt réussi. Pourtant il aurait pu facilement nous perdre dans ses dédales temporels. Parce qu’il faut bien l’avouer, il n’a pas choisi la façon la plus simple de raconter cette histoire d’amour toute banale. Imaginez-vous, il a décidé de la narrer de sa conclusion à son introduction. De quoi égarer le plus attentif des lecteurs. Une stratégie temporelle qu’avait aussi adoptée Christopher Nolan dans son excellent polar filmé Memento

                                                     


 

 

 

Grâce à l’intelligence de sa plume, à sa dissémination judicieuse des repères chronologiques et à son trait joyeux et généreux, le bédéiste édifie la plausibilité et la logique nécessaires pour abattre nos réticences et adopter sa proposition narrative. Même si les voyages dans le futur et encore plus dans le passé peuvent nous sembler irréalisables et un brin illogiques le bédéiste, lui, réussit à nous faire croire le contraire. Ce qui est n’est pas une mince tâche puisque tout le monde sait que jouer avec le temps peut quelques fois être assez hasardeux.

Il faut dire qu’en abordant les chapitres en ordre décroissant l’auteur nous donne l’impulsion nécessaire pour ne pas se laisser désarçonner par son déroulement. Et tout ce qui pouvait nous déstabiliser à la lecture du premier chapitre disparait et rapidement nous épousons sans problème son déroulement antéchronologique.

                                          


Et c’est sans compter sur son dessin semi-réaliste tout en rondeur, en bonne humeur et en enthousiasme qui donne un aspect éminemment sympathique à cette bluette indéniablement réconfortante et pleine de personnages simples, beaux, gentils, bienveillants et fondamentalement optimistes.

 Malgré tout fais du bien. Surtout en ces temps de déprime où ce maudit virus ne veut pas disparaitre et où l’actualité se fait de plus en plus sombre. Alors que l’automne, sa pluie et ses journées plus froides s’installent, Malgré tout donne l’envie de se coller sur l’être aimé, pour profiter de la chaleur, de la richesse et de la plénitude de son amour.

Une « feel good bd » au parfum du bonheur simple et tranquille. Et ça, François le libraire l’avait très bien vu.

Jordi Lafebre, Malgré tout, Dargaud.

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