Blacksad : Moi je fabrique des marionnettes.

 

                                                       


           

Par Robert Laplante

Je ne sais pas pourquoi, mais dans la culture populaire on aime bien dépeindre en noir, la fonction de maire. Comme s’ils étaient tous des pantins manipulés par de puissants marionnettistes qui les font valser au rythme de leurs intérêts. C’est entre autres le cas de Solomon, le plus puissant des fonctionnaires new-yorkais, qui impose depuis toujours sa vision du développement. Imaginez 4 maires et trois gouverneurs ont suivi aveuglément sa conception du futur de la mégalopole.

À vrai dire ils sont plusieurs à croire qu’il est la personne la plus puissante de la ville, si ce n’est de l’État. Et on n’atteint pas un pareil pouvoir, presque pharaonique, sans se salir. Il faut juste ne pas se faire éclabousser par le sang des opposants qu’on élimine. Après tout, on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. Et il faut le reconnaître, il a en a cassé des œufs Solomon et beaucoup même.


                                              


Mais quelques fois, malgré toutes nos précautions, les œufs nous tâchent quand même. Prenez par exemple ce pauvre Kenneth Clarke, président du syndicat des travailleurs du métro. Une banale chauve-souris qui a décidé de s’opposer à sa volonté de détruire le réseau du métro. Solomon est convaincu que l’avenir est aux automobiles et aux autoroutes. L’appel du futur ne peut donc pas se bâdrer du transport en commun souterrain.

                                             


Comme il l’a fait si souvent le fonctionnaire décide de faire taire la voix de l’opposition. Il aurait pu la faire disparaître sans problème cette opposition, et sans que personne ne s’en aperçoive. Mais c’est sans compter sur John Blacksad que Kenneth avait engagé pour le protéger. Quand les terribles exécuteurs des basses œuvres du visionnaire destructeur assassinent le pauvre syndicaliste, Blacksad n’a pas le choix, il entre dans la danse et mène une enquête. Une enquête parsemée de cadavres.

                                                                




Ça faisait un bail qu’on n’avait pas vu le petit théâtre de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido, presque 8 ans. Un interminable silence radio, mais qui en valait drôlement la peine, puisque : Alors tout tombe, est l’époustouflante surprise de la rentrée. Le genre de bande dessinée qui coupe le souffle et dont chaque page est une véritable leçon de maitre. Avec la disparition de Sokal et de son Canardo, jamais Blacksad ne m’est paru aussi essentiel.

Encore une fois l’univers glauque hérité des polars américains des années 50, entre autres ceux de Mickey Spilane, est merveilleusement bien rendu par les deux créateurs. Tout y est : les ambiances crades et craignos, la crasse qui suintent des rues new-yorkaises, l’odeur de la pauvreté, de l’opulence arrogante et des rêves broyés, la puanteur des nababs qui se pensent trop importants, les échos des secrets qui pourrissent et les effluves de la mort qui réclame son dû. Un excellent polar on le sait, c’est avant tout une atmosphère, une noirceur et des dialogues aux sonorités du désabusement et du cynisme. Et sur ces aspects Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido excellent.

                                         


Et puis il y a ce léger parfum nauséabond et sulfureux de corruption municipale, de tractations opaques faites dans les officines les plus sombres du pouvoir, qu’on aime bien associer à ces mégalopoles américaines de jadis. Ces villes monstres qui explosent sous le développement immobilier anarchique, sous l’injection massive de capitaux et sous ses promesses d’enrichissement spontané. Après tout le Far West ne s’est pas terminé avec la fin de la conquête de l’ouest et ne s’est pas borné qu’à l’ouest de l’Amérique. Rappelez-vous il y a quelques années les turbulentes années de Gérald Tremblay et de Michael Appelbaum à la mairie de Montréal. Un Blacksad dans nos rues aurait été aussi utile qu’il l’est pour la ville qui ne dort jamais.

Immense bande dessinée, le nouveau Blacksad est réjouissant. Réjouissant comme le retour d’un vieil ami qu’on n’avait pas vu depuis trop longtemps et dont on s’ennuyait cruellement. Et comme il revient en force, on regrette encore plus son absence.

Espérons que nous n’attendrons pas un autre 8 ans pour voir Solomon enfin tomber, si jamais il doit tomber. Avec ce polar à la David Goodis on ne peut jamais jurer de rien.

Mais ce qui est certain c’est que si jamais il tombe, sa chute sera encore plus dure.

Juan Díaz Canales, Juanjo Guarnido, Blacksad, Alors, tout tombe. Première partie, Dargaud.

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