Fatty : Il y a quelque chose de pourri au royaume d’Hollywood.

 

                                                             


Par Robert Laplante

Roscoe « Fatty » Arbuckle fut la première grande vedette américaine du cinéma. Bon, peut-être pas la première, mais assurément une des premières. Mais qu’il soit ou non la première grande vedette du cinéma, ce n’est pas vraiment important. Il fut la première vedette américaine du 7e art à gagner un million de dollars par année. Et ça, c’était en 1919.

La légende veut que ce soit lui qui a donné à Chaplin le pantalon qui lui a permis de créer son fameux vagabond. Les deux s’étaient connus sur les plateaux des films de Mack Sennett. La légende raconte aussi que c’est lui qui donna sa première chance à Buster Keaton. Qui ça ? Buster Keaton, LE Buster Keaton, un des plus grands comiques de la pellicule. Mais il est vrai qu’on l’a malheureusement un peu oublié aujourd’hui. Et ce, malgré son magnifique Mécano de la Générale , véritable chef-d’œuvre d’humour, d’intelligence et d’imagination. Ça ne vous dit rien! Ce n’est pas grave. Qui s’intéresse encore aux films et aux vedettes du muet… à part moi bien sûr?


                                             


Bref, « Fatty » Arbuckle, fut le véritable premier roi d’Hollywood. Un roi à qui la chance souriait toujours. Mais être l’enfant chéri de l’Amérique, être le roi du cinéma, ça finit par faire des jaloux. Surtout quand le roi en mène large, un peu trop même, dans un Hollywood aux allures d’une Sodome et d’une Gomorrhe à la puissance 10. Mener la belle vie c’est bien, mais ça doit toujours rester dans les limites du socialement convenable. Et manifestement ce ne fut pas le cas d’Arbuckle.

Et ça, ça ne pardonne pas. Surtout quand l’Amérique est puritaine et qu’elle peut compter sur des serviteurs aussi bigots que zélés comme le sénateur et président de la Motion Pictures Producers and Distributors Association : William Hays. Oui, oui, le même Hays, qui finira par imposer en 1934 son tristement célèbre code d’autocensure et d’encadrement moral du cinoche.


                       


Fatty, le premier roi d’Hollywood raconte l’ascension et la déchéance de cet irrésistible comique. De sa rencontre avec un jeune comédien de théâtre du nom de Buster Keaton, après son départ de la Keystone, à sa carrière de réalisateur de navets sous un pseudonyme pour éviter que ses patrons subissent les foudres des censeurs. De ses trois procès arrangés, suite à la mort de Virginia Rappe une jeune comédienne dans une soirée olé olé, à la campagne de dénigrement médiatique orchestrée par le magnat de la presse William Randolph Hearst, le fameux Charles Foster Kane d’Orson Welles, c’est toute la vie de « Fatty » qui prend l’allure d’une tragédie grecque.


                                       


Une tragédie où la rédemption arrive beaucoup trop tard, puisqu’il meurt d’une crise cardiaque le 24 juin 1933. Quelques heures après avoir reçu une offre de la Warner Bros pour réaliser son premier long-métrage sous son nom et non plus sous un pseudonyme. 11 ans, après sa mise à l’index, 11 ans après s’être retrouvé en tête de liste des infréquentables. 11 ans après la mise au pas du 7e art, ce qui devrait être son grand retour s’est plutôt transformé en grand départ.

Fatty le premier roi d’Hollywood est un bel instantané d’une période où le cinéma était encore artisanal, un peu anarchique et où on pouvait se permettre un peu tout. Mais ça, c’était avant que les censeurs et les gardiens de la moralité américaine tournent leur regard vers lui.

                                               


Parce qu’il ne faut pas se leurrer, le destin de « Fatty » et de cet Hollywood, réincarnation de la grande prostituée de Babylone, est emblématique de l’Amérique. De cette Amérique constamment déchirée entre ses rêves de liberté et son intégrisme moral, presque religieux, hérité des premiers pèlerins blancs qui fuyaient la persécution religieuse anglaise. Ces premiers pèlerins qui rêvaient de créer dans le Nouveau Monde une nouvelle Jérusalem. Cette Jérusalem céleste tant attendu.

Plus qu’une bande dessinée sur cet incroyable comédien : Fatty le premier roi d’Hollywood est un plaidoyer pour la liberté créatrice, le vivre et laisser vivre, contre la rectitude morale, la censure et la culture de l’annulation. Son destin hors du commun et sa mise au rancart trouvent encore des échos dans cette ère où la censure, l’autocensure, le moralisme étouffant, la bien-pensance de pacotille et la soumission aux pensées uniques semblent de plus en plus présents.


                                  


Est-ce que la vie de « Fatty » peut encore nous enseigner quelque chose? J’ai bien l’impression que oui.

Et si ce n’est pas le cas, la bédé nous aura au moins permis, l’espace de 200 pages, de renouer avec ce génie de la comédie.

Ce qui n’est déjà pas si mal.



Nadar, Julien Frey, Fatty le premier roi d’Hollywood, Futuropolis.

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