Pulp : Les fantômes du passé

 

                                                          


Par Robert Laplante



Rédemption! Le mot est magnifique, magique même et porteur d’espoir. Et comme porteur d’espoir franchement il est top. Tellement top qu’on l’utilise à toutes les sauces. Mais hélas ce n’est pas parce qu’on l’utilise pour tout et rien que la rédemption est à la portée de tous et qu’elle est facile à atteindre. Oh que non!

Prenez Max Winters. Il est un écrivain de seconde zone. Avec son héros : le pistolero Red River Kid il fait les délices des amateurs des pulps magazines. Et comme son héros de papier, il est à la recherche la rédemption. Il la cherche, mais ne la trouve jamais. Et on comprend pourquoi. Avant d’être cet auteur méconnu, il a été longtemps membre d’un gang qui dévalisait les banques et terrorisait les hommes d’affaires prospères du vieil Ouest américain. Parce qu’il a connu l’ouest légendaire, le Winters. C’est pourquoi ces courtes histoires marchent autant. Elles ont l’odeur de l’authenticité et savent séduire l’Américain moyen avec sa représentation de la mythique frontière.

En février 1939, victime de son patron véreux qui vient de l’arnaquer, d’une crise cardiaque presque mortelle et d’une violente agression dans le métro, il avait défendu un Américain de confession juive qui avait maille à partir avec des malabars, Winters n’a plus le choix il doit renouer avec son passé criminel.

Pour assurer à son amoureuse Rosa le coin de paradis qu’elle désire depuis toujours et un petit coussin financier après son décès, il s’associe avec un ancien Pinkerton pour attaquer le siège du parti nazi américain. Un magot l’attend là-bas, parait-il. Pour Max la rédemption est non seulement difficile à saisir, mais elle est aussi capricieuse. Quelques fois elle exige même le sacrifice de celui qui la désire. Tel est le prix à payer pour effacer son ardoise avec la vie.

Nouvelle bande dessinée d’Ed Brubaker et de Sean Phillips, Pulp est un sombre polar crépusculaire «davidgoodisien » aux parfums de vengeance, de quête rédemptrice et d’un monde qui n’existe plus.

Parce qu’il ne faut pas se leurrer, il n’y a plus de place pour l’esprit de l’Ouest, et encore moins pour Winters, dans cette Amérique du XXe siècle. Non, il n’y a plus de place pour un fossile d’un autre âge épris de liberté et de grands espaces. Tout comme son Red River Kid qui chevauche dans les pages de son pulp, enfermé dans la cage d’un passé immobile. Winters erre dans les rues d’un siècle qui ne veut pas de lui. De lui et de sa ridicule conception de l’honneur et de la liberté.

Plongée mélancolique dans la psyché d’un homme qui ne se sent plus à sa place, Pulp peint avec brio l’errance tragique de ces dignes déracinés de l’ancienne Amérique. Celle où avec un cheval et un colt on pouvait atteindre son bout de ciel bleu.


                                        


Chaque page est trempée d’une encre pleine de mélancolie, de regret et des souvenirs d’un passé disparu. Un passé dont Winters n’est pas très fier. Un passé qui lui aura coûté et qui lui coûtera encore très cher. On ne se débarrasse pas des fantômes qui hantent nos réminiscences. On les cache peut-être dans les tréfonds obscurs de nos mémoires, mais un jour ils ressortent et réclament leur dû.

En attendant ce moment fatidique Max tente de vivre et de réparer ses erreurs d’antan et se consacre totalement à Rosa son amoureuse qui rêve d’avoir une petite maison bien à elle.

À la façon d’une complainte de Townes Van Zandt


                                                  


ou de Steve Earle

                                                        


Brubaker et Phillps explorent subtilement le naufrage de cet homme échoué sur le rivage d’un monde qui n’en veut pas. Si au moins il avait pu mourir comme il a failli le faire alors qu’il parcourait l’Ouest américain. Il n’aurait pas eu à arpenter les sentiers de ce XXe siècle. Il n’aurait pas eu à vivre avec tous ces fantômes qui voulaient sa peau. Il n’aurait pas eu à chercher cette rédemption qui ne se laisse pas séduire. Cheyenne dans Il était une fois dans l’Ouest l’avait eu, lui, cette chance.

Perdant magnifique au destin dramatique, Max Winters ne pouvait rêver de meilleurs chantres pour illustrer sa tragédie américaine que Brubaker et Phillips. Sous la plume du tandem, l’écrivain devient le héros d’une triste ballade dessinée interprétée par un chanteur country.

Et tout comme son Red River Kid qui rêve d’un vieux Mexique inaccessible et de retraite improbable, Max Winters tente de se réinventer un présent. Mais on ne se sauve jamais de son passé. Ça :Red River Kid et Max Winters le savent très bien.

Une bande dessinée troublante et fascinante.

Ed Brubaker, Sean Phillips, Pulp, Delcourt.

















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