Mauvaise réputation, les oublis de la légende.

                                                              


Par Robert Laplante

Ils se sont imposés dans l’imaginaire francophone grâce au 12e album de Lucky Luke, Hors-la-loi. Ils ont tellement marqué la mémoire collective, qu’à la demande des lecteurs, René Goscinny et Morris ont décidé de les ressusciter sous les traits de leurs grotesques cousins Joe, Jack, William et l’ineffable Averell.

On parle bien sûr des frères Dalton, Bob, Grat, Bill et Emmett, qui écumèrent l’Ouest américain entre 1890 et 1892 et qui se firent presque tous descendre lors d’un braquage raté à Coffeyville en 1892.

Presque tous, parce qu’Emmett survécu, fut emprisonné, écrivit ses mémoires, aida un producteur à rédiger un scénario sur le tragique chevauchée de son gang et joua même son propre rôle dans une production hollywoodienne, The man of the Desert, en 1916.

Tulsa, Oklahoma, 1916. John Tackett piste Emmett Dalton. Non pas pour le retourner derrière les barreaux, mais plutôt pour lui faire lire un scénario consacré à son épopée dans ce vieil Ouest qui fait tant rêver l’Amérique. C’est que voyez-vous, Tackett est un producteur de cinéma qui a flairé l’intérêt des spectateurs pour ces tragédies du mythique Far West.

                                             


Hélas, le scénario qu’il lui propose est plein d’erreurs. À force de discussions et de bouteilles d’alcool, le producteur réussit à le convaincre de raconter son gang Dalton. Mais Emmett n’est pas du genre à s’épancher en confidences au premier venu. Pire encore il refuse de céder à la tentation de se montrer plus grand que nature, de devenir cet archétype du mal qui a fait les délices des lecteurs de ces « dime novels » distribués dans tous les kiosques à journaux de l’Amérique. Vous savez ces revues qui ont construit littéralement la légende de l’Ouest.


                                        


C’est cette rencontre que raconte Antoine Ozanam et Emmanuel Bazin dans: Mauvaise réputation, la véritable histoire d’Emmett Dalton. L’idée est fascinante puisqu’elle permet aux auteurs d’explorer les sentiers obscurs de l’histoire, d’esquisser un portrait plus réaliste, plus nuancé, d’Emmett Dalton et de ses frères et surtout de leur restituer cette part d’humanité que la légende leur a confisquée.

Loin du western dessiné classique, la BD du tandem ne mise ni sur les grands espaces, ni sur les poursuites, ni sur les fusillades, ni sur les bagarres et encore moins sur la cruauté des Dalton. Non, le duo s’intéresse avant tout à la spirale infernale qui va les transformer de citoyens respectueux de la loi, en criminels violents qui terrorisent les géants ferroviaires et bancaires.

                                                   


                                  

Pris dans l’implacable engrenage d’une violence qui gangrène l’Ouest, là où la justice est douteuse et les forces de l’ordre mal payées, les Dalton deviennent presque les victimes d’un destin tragique mis en place par un Dieu insensible. Bon le qualificatif de « victimes » est peut-être un peu fort. Mais il reste qu’en d’autres circonstances ils auraient pu être du bon côté de la loi. Après tout n’étaient-ils pas les fils d’un héros de la guerre américano-mexicaine et membre à une certaine époque des forces policières.

Mauvaise réputation est une bande dessinée sobre, en demi-teinte, en silence et en lenteur comme l’était The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford d’Andrew Dominik,. À l’image des confidences pleines de zones d’ombre et d’imprécisions volontaires d’Emmett Dalton. Comme s’il ne voulait pas réveiller des fantômes qui ne demandent qu’à le hanter de nouveau.

                                        


Et tous ces sous-entendus, toutes ces confidences contrôlées, tous ces refus de revisiter son passé sont à la fois la force et la faiblesse de la bande dessinée. Car même si les auteurs réussissent à garder mon attention jusqu’à la fin, même s’ils distillent avec intelligence ses souvenirs tout en préservant son passé mystérieux, j’ai quand même un soupçon d’insatisfaction.

Peut-être parce qu’ils ne m’ont pas raconté toute son histoire. Peut-être parce que trop de ténèbres enveloppent encore ses réminiscences. Ou peut-être parce que moi aussi j’ai été intoxiqué par ces « dimes novels » devenu depuis les westerns cinématographiques et que je me suis forgés mes propres Dalton.


                                  


Antoine Ozanam, Emmanuel Bazin, Mauvaise réputation, la véritable histoire d’Emmett Dalton, Glénat.

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