La part de l’ombre; quand le démon habitait Berlin.

 

                                                 


                          

Par Robert Laplante



Il y a des bandes dessinées, mais des films aussi et des romans, qui ont tous les éléments pour me plaire : des secrets enfouis sous des tonnes de mensonges, des personnages désabusés en quête de rédemption, d’autres un peu trop idéologues et quelques opportunistes prêts à tout pour survivre dans des milieux où la délation est un poison qui s’insinue partout. Et quand en plus cette BD, ce film, ce roman se passe sous le régime nazi ou sous celui des démocraties populaires à l’époque de la guerre froide, alors, le succès est assuré. C’est exactement le cas de La part de l’ombre, ce thriller historique dessiné de Patrice Pernia et Francisco Ruizge dont le second tome Rendre justice vient tout juste d’arriver dans nos librairies.

Vous connaissez Maurice Bavaud? Moi j’avoue qu’avant la lecture du premier tome de ce diptyque je n’en avais jamais entendu parler.

Maurice Bavaud est ce Suisse un brin mystique qui en novembre 1938 tenta d’assassiner Hitler. Il fut guillotiné en 1941, sa condamnation à mort est toutefois annulée le 12 décembre 1955, 14 ans après sa décapitation. Le contexte peut sembler absurde, mais il le devient encore plus quand le tribunal décide de le condamner à 5 ans d’emprisonnement à titre posthume. Après tout, il avait tenté de tuer un citoyen allemand et tous ces citoyens sont protégés par la loi… Hitler compris. D’absurde la situation devient presque kafkaïenne.


                                        


Le journaliste de Berlin-Est Guntram Muller couvre cette injustice judiciaire. La réhabilitation de Bavaud devient sa croisade personnelle, son dernier baroud d’honneur pour faire taire ses démons. Des démons d’autant plus obsédants qu’à l’époque, quand il était inspecteur de police pour la Kriminalpolizeï, c’est lui qui avait enquêté, à la demande de Martin Bormann, sur cette tentative d’«hitlericide».

Mais les fantômes du passé ne revêtent pas toujours la forme qu’on voudrait. Oh que non, et ce serait beaucoup trop simple. Ils peuvent prendre plusieurs visages. Même celui d’un jeune journaliste zélé un peu trop enthousiaste à surveiller ces éléments décadents qui dans l’ombre sapent les fondements du paradis de l’homme nouveau.

Excellente conclusion de ce superbe diptyque, Rendre justice m’a complètement soufflé. Bien sûr je m’attendais à la suite de l’enquête de Muller sur les incohérences de la législation allemande. Mais jamais, ô grand jamais, je me serais attendu à l’ajout en filigrane d’un efficace thriller truffé de révélations surprenantes qui ouvrent la porte à de fascinantes spéculations historiques. Tout au long de la lecture de ce deuxième tome, je retrouvais le même plaisir que j’avais eu lors de mon premier visionnement d’Archangel,

                                             


                                          

 cet excellent suspense cinématographique signé Robert Harris qui parlait du fils illégitime et caché d’un monstrueux dictateur européen.


                                            


Patrice Perna, dont j’avais adoré le triptyque Darnand le bourreau français, tire avec brio les ficelles d’un intrigue solide qui nous tient en haleine du début à la fin. Comme un briscard du «storytelling» Perna enrobe son scénario des brumes, de la paranoïa, de la méfiance, du soupçon et de l’inquiétante plausibilité. Cette inquiétante plausibilité si nécessaire à notre adhésion. Le tout sur fond de rock’n’roll, cette «décadente» musique impérialiste qui contamine toute l’Allemagne de l’Ouest.

                                          


Appuyé par le dessin évocateur de Francisco Ruizge qui représente avec justesse la grisaille d’un Berlin dévasté par la guerre et l’occupation, le talentueux scénariste nous guide subtilement dans les coins les plus sombres de l’Histoire quotidienne, celle dont les ouvrages historiques occultent, mais qui finit toujours par teinter l’officielle.

Un Immense coup de cœur, ce deuxième tome de La part de l’ombre m’a autant, captivé que réjouit. Avec cet opus final, Perna a fait vibrer toutes mes cordes sensibles.

J’adore… j’en aurais même pris plus.

Patrice Pernia, Francisco Ruizge, La part de l’ombre tome 2 Rendre justice, Glénat

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