Madeleine, Résistante, le chant des partisanes.

 

                                                        


Par Robert Laplante

Ce n’est pas facile de faire une bande dessinée historique. Mais n’est-ce pas le lot de toutes les productions culturelles historiques? Bien malin qui pourrait y répondre, mais de toute évidence, le défi reste toujours le même : réaliser la jonction entre la petite histoire anonyme et à la grande un peu désincarnée, celle des manuels, celle enseignée à l’école et à l’université. Cette difficile conciliation entre l’émotion de la fiction et la rigueur un peu froide de la science historique Bertail, Morvan et Riffaud l’ont parfaitement réussi dans Madeleine, Résistante, une excellente bande dessinée consacrée au parcours de la poète et grande reporter Madeleine Riffaud dans la résistance française.

Cela ne doit pas être facile de traduire sur papier les souvenirs de résistance de cette grande dame. Parce qu’elle en a peu parlé publiquement. Comme beaucoup de ses collègues d’ailleurs. Elle l’a fait pour la première fois en 1994, pour le cinquantenaire de la libération de Paris, et à la demande de son ami le légendaire résistant Raymond Aubrac. Oui, oui le Raymond Aubrac immortalisé par Daniel Auteuil dans l’excellent film de Claude Berri Lucie Aubrac. Aubrac lui avait demandé d’en parler pour sauver de l’anonymat la mémoire de ses amis résistants.

                                               


Pourtant son destin est inspirant, il est fait du matériau avec lequel on forge les légendes. Elle n’avait que 18 ans, elle était donc encore mineure, quand, en 1942, elle a épousé la cause de la révolte. Son engagement lui a valu la torture, la condamnation à mort pour l’assassinat d’un officier de l’armée d’occupation et la déportation. La chance, le hasard ou une main invisible, je ne sais pas, lui permettra toutefois d’échapper à son exécution et à sa déportation.


                                        


Mais ce n’est pas fini, elle commandera par la suite des groupes de résistants en mission et participera à la capture de quatre-vingts soldats de la Wehrmacht, et ce, avant sa majorité. Pourtant à la libération de Paris l’armée régulière ne voudra pas collaborer avec elle. Que voulez-vous,une femme, et qui plus est mineure, ne pouvait surtout pas rejoindre les troupes habituelles en cette année 1944


                                     


Cette destinée exceptionnelle ne pouvait que séduire un grand scénariste comme Jean-David Morvan. Alors que plusieurs bédéistes auraient proposé une intrigue «historisante», prétexte à des moments héroïques, Morvan lui opte pour la simplicité. Ce qui l’intéresse c’est de trouver le ton juste, celui qui nous permet de découvrir Madeleine la résistante, de partager sa colère sourde, son indignation, son désir de justice, mais aussi son impatience, son courage tranquille trempé dans l’acier et sa peur. Cette peur qui ne la quitte jamais, mais qui ne l’empêchera pas de mener à bien ses missions. Le tout appuyé par les superbes couleurs et le dessin époustouflant de Bertail. Les scènes qui se déroulent dans les grandioses paysages enneigés, brumeux et montagneux de Saint-Hilaire-du-Touvet sont magnifiques.

                                                 


Il faut bien reconnaître que ce duo se complète à merveille. Je ne sais pas si Morvan, malgré toutes ses qualités de conteur, et elles sont immenses, aurait pu être aussi efficace sans le trait si évocateur de Bertail. Je ne sais pas non plus si Bertail aurait pu être aussi impressionnant sans le narratif puissant de Morvan.

Mais ce que je sais par contre c’est qu’ils n’auraient jamais pu transcrire sur papier avec autant de justesse, de verve et d’enthousiasme ce polaroid d’une résistance à hauteur d’homme, ou de femme si vous préférez, sans la collaboration de Madeleine Riffaud. Interviewée par Jean-David Morvan l’ancienne journaliste a su insuffler au scénario l’émotion, l’authenticité, la lucidité et la passion nécessaires au succès de cette bande dessinée.

Si avec cette bande dessinée, Madeleine Riffaud voulait rappeler à nos mémoires défaillantes le rôle essentiel de ses amis résistants. Elle peut se dire mission accomplie. Et elle l’a faite avec une grande humilité, sans ne jamais prendre toute la place.

Avec un matériau aussi riche, une personnalité aussi inspirante, une période aussi fertile en personnages plus grands que nature et en événements grandioses, de ceux qui permettent aux humains de faire l’étalage de toutes leurs zones d’ombre et de lumière, Morvan et Bertail ne pouvaient pas se tromper

Il fallait juste bien raconter Madeleine Riffaud. Et ça, ils l’ont parfaitement réussi. Pour mon plus grand plaisir.

Bertail, Morvan, Riffaud, Madeleine, Résistante, tome 1 La Rose dégoupillée, Dupuis, Aire Libre.

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