Berezina : L’enfer gelé des grognards.

 

                                                   


   

Par Robert Laplante



J’avoue que le «timing» n’est peut-être pas approprié. Parler d’une bande dessinée qui traite d’un voyage en Russie en cette période trouble n’est pas la meilleure idée. Mais bon, ce n’est pas parce que l’actualité internationale est sombre et que la culture subit les contrecoups des délires expansionnistes «poutiniens», qu’il faut s’empêcher de lire l’intéressante adaptation BD du passionnant récit de voyage de Sylvain Tesson Berezina.

En 2012 pour commémorer le bicentenaire de l’indescriptible retraite de Russie de Napoléon, Sylvain Tesson, accompagné de quelques amis, décide de parcourir le chemin emprunté par la Grande Armée humiliée pour retourner en France. Avec leurs increvables mythiques side-cars soviétiques Oural 1966, Tesson et ses frères de tracé avalent les 4 000 kilomètres qui les séparent de Paris. 4 000 kilomètres de sols gelés et de chaussées aussi glissantes qu’incertaines, de routes qui traversent d’impénétrables forêts, d’autoroutes fréquentées par d’immenses convois de camions. 4 000 kilomètres d’épisodes éprouvants. Beaucoup moins, certes que celles des soldats de Bonaparte!

                                                    


Une expédition fascinante que Virgile Dureuil a transposée sur papier avec brio. Est-ce qu’elle est fidèle au récit du géographe, aventurier/auteur? Je ne saurais le dire, puisque je n’ai jamais lu son récit publié en 2015. Mais ce n’est pas important de le penser parce que le trait émotif, la mise en scène rythmée et les anecdotes judicieuses de Dureuil traduisent parfaitement la folie de cette randonnée surhumaine sur le territoire du général hiver et de ses cruels lieutenants, les indomptables bourrasques de neige et l’âpre froid polaire.

                                               


Mais plus que le voyage de Tesson, c’est celui de la Grande Armée qui est impressionnant. Cette Grande Armée qui se croyait invincible et qui rentra à Paris en lambeau, pitoyable, malade, affamée, démoralisée.

                                          


En présentant parallèlement en scène le parcours de Tesson et celui de la Grande Armée, en valsant intelligemment entre le passé et le présent, Dureuil concocte un récit qui m’a tenu en haleine du début à la fin. Une stratégie narrative qui m’a permis de mieux ressentir l’ampleur de ce gigantesque désastre inhumain.

J’ai eu l’impression en lisant cette bande dessinée d’être témoin de la débandade de la Grande Armée. Comme si Tesson avait couvert en temps réel pour un grand quotidien cette infernale fuite vers l’ouest.

Et puis il y a les mots de Tesson, toujours aussi magnifiques, mélodiques. Une symphonie nordique merveilleusement mise en image par Virgile Dureuil. Comme il l’avait déjà fait pour Dans les forêts de Sibérie. Et ne serait-ce que pour cette musique Berezina vaut la lecture.

                                           


«Après notre voyage sur le chemin de la retraite française, lorsque je me trouvais sur des falaises trop raides, en des bivouacs trop froids. J’ai souvent pensé à ces bougres rampant sur la route de glace, emmitouflés dans leurs maillons, nourris de tripe faisandée, et j’ai ravalé la glaire des geignements qui me venait aux lèvres. (…) Qui était Napoléon? Un rêveur éveillé qui avait cru que la vie ne suffisait pas. Qu’était l’histoire? Un rêve effacé, d’aucune utilité pour notre présent trop petit. Nous avions tendu un fil terrestre de Moscou jusqu’en cette cour. J’avais l’impression de me réveiller d’un songe long de 4 000 kilomètres» écrit majestueusement Tesson.

Exactement ce que j’ai ressenti moi-même à travers ses mots et les dessins du Dureuil.

Virgile Dureuil, d’après le récit de Sylvain Tesson, Berezina, Casterman.

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